« « Le tourment de l’artiste, la transpiration, le sang, tout se reflète dans une IRM fonctionnelle ! » Après avoir passé plus d’une heure à se maintenir immobile dans le bruit assourdissant d’un espace confiné dédié à l’enregistrement de ses ondes cérébrales, Pierre Fautrel laisse échapper une blague pour relâcher la tension. « Je me sens comme si j’étais chargé d’électromagnétisme, comme après un atterrissage d’avion difficile. Une bonne nuit de sommeil suffit à éliminer cette sensation », explique-t-il. Membre de l’équipe de trois artistes numériques connus sous le nom d’Obvious, il est actuellement leur sujet d’expérimentation, pour un tout nouveau projet à cheval entre l’art et la science, qu’il a initié avec ses collaborateurs Gauthier Vernier et Hugo Caselles-Dupré.
Ce trio avait déjà fait sensation en 2018 en se faisant connaître grâce à la vente d’une œuvre d’art créée par une intelligence artificielle (IA) : le Portrait d’Edmond de Belamy qui s’est vendu à 432 500 dollars (soit environ 400 000 euros) chez Christie’s, à New York. Que visent-ils à présent ? Ils souhaitent reproduire les images qu’ils visualisent dans leur esprit, non pas en peignant ou en dessinant, mais en interprétant leur activité cérébrale grâce à l’intelligence artificielle.
Ces derniers temps, Pierre Fautrel a passé de nombreuses heures dans un appareil de résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) situé dans un centre de radiologie de la Seine-Saint-Denis. Il a été reçu par le neuroradiologue Charles Mellerio, qui a manifesté un vif intérêt pour ce projet. Aujourd’hui, ces séances se tiennent au sous-sol de l’Institut du cerveau, à Paris, où le trio a attiré l’attention d’Alizée Lopez-Persem, qui conduit des recherches sur les réseaux cérébraux impliqués dans les processus de créativité.
« Rendre visible l’œil du cerveau » »
Hugo Caselles-Dupré, titulaire d’un doctorat en apprentissage automatique – une division de l’IA, rappelle que leur objectif initial était d’imiter les succès scientifiques spectaculaires récemment publiés : il est désormais viable de générer avec une grande précision des images jamais vues auparavant, observées par un sujet, en analysant son activité cérébrale via l’IA. Un pré-requis à cette méthode est le besoin de former intensément le système sur d’immenses bases de données d’images (jusqu’à 10 000), et les résultats ne peuvent être transférés d’un individu à un autre. Cependant, les avancements sont impressionnants : alors qu’une formation de 40 heures était nécessaire en 2023 pour parvenir à une imitation satisfaisante de l’image observée, une équipe de Princeton peut maintenant se contenter d’une heure de collecte de données.
« Dans une première étape, à partir d’un ensemble de données contenant des portraits ou des paysages surréalistes, nous avons dupliqué ce genre de résultats », explique Hugo Caselles-Dupré. « Néanmoins, nous avions l’ambition de pousser plus loin : dévoiler directement l’“œil du cerveau”, un acte d’imagination. » Obvious s’est aligné sur le surréalisme, « car il est intimement lié à l’écriture automatique, à l’idée de briser les barrières entre la pensée et ce que l’on parvient à exprimer », déclare Gauthier Vernier.
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