L’équilibre est instable. Le téléphone est appuyé contre une gourde, elle-même posée sur un petit luminaire en proie au vent. Préparés pour toutes les éventualités, Zach et Alice ont placé sur le sol un sac à dos enveloppé d’une écharpe, comme coussin d’urgence pour une éventuelle chute de l’appareil précieux. « Puisque nous n’avons pas de trépied, nous faisons avec ce que nous avons », explique le jeune homme de 18 ans. Le dispositif est prêt, l’enregistrement a commencé : c’est le moment de la danse.
Un petit haut-parleur rouge émet un morceau de K-pop pas trop fort pour respecter les passants. Les deux danseurs amateurs commencent à bouger, pendant une trentaine de secondes. Ensuite, ils s’empressent de voir le résultat, penchés sur leur petit écran, leurs poings glacés abrités sous leurs sweats assortis. « J’avais mal cadré, donc je suis hors de la vue » Alice se plaint. « On recommence! » Zach s’exclame. Et c’est reparti. Encore et encore. « Là, j’étais en retard »; « On est trop loin » ; « Oh nonnnnnnn!» : le téléphone est tombé.
Malgré une préparation minutieuse du bricolage, le choix de la chorégraphie s’est fait bien en amont. Alice a révélé que le choix s’est porté sur la plus récente d’un groupe venant de publier une nouvelle chanson, car cela fonctionne mieux sur TikTok. Tous ont appris la chorégraphie individuellement. En arrivant à l’endroit choisi – l’arche de l’immeuble du Monde à Paris, un lieu prisé des vidéastes – ils ont pris le temps de trouver le meilleur angle de vue avant de s’entraîner plusieurs fois pour finalement obtenir la prise parfaite. Le montage est la prochaine étape, avec pour but de rendre la vidéo plus attrayante visuellement pour éviter l’ennui du public, comme Alice l’explique, sachant très bien les exigences implicites de la plate-forme. « Nous savons qu’ils quittent les vidéos après deux secondes. Il est donc important de capter l’attention rapidement. »
Pour la création de ces vidéos, Zach s’étonne presque : « On se transforme en styliste, caméraman, monteur… On endosse tous les rôles, en réalité ! » On pourrait même ajouter à la liste community manager, expert en algorithmes et, bien sûr, danseur – bien que Zach se mette également en scène dans d’autres contextes, tels que des sketches, des vlogs ou des déballages de produits.
À l’intersection de la vie publique et privée : les adolescents créatifs. Ils développent diverses compétences en consacrant leur temps libre à la création de contenus variés… Est-ce une facette négligée du débat sur l’utilisation des écrans par les enfants et les adolescents, relancé au début de l’année par Emmanuel Macron ? Selon le rapport présenté mardi 30 avril par la commission nommée par le président, celle-ci déplore que la technologie puisse « être utilisée pour confiner, aliéner, soumettre les enfants ». Cependant, elle reconnaît aussi que l’utilisation des écrans peut « offrir un accès illimité à la connaissance, à de nouvelles compétences, ainsi qu’à des divertissements ».
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