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« Sénégal: Régulation de l’immobilier de luxe »

Makhmoud Camara, un agent immobilier de prestige, vante les charmes d’un triplex à Dakar, la capitale du Sénégal. De sa terrasse de 60 m², on peut admirer la beauté de la côte atlantique et bénéficier d’un emplacement idéal pour regarder les couchers de soleil. Avec ses 600 m², cinq chambres, marbre italien pour le carrelage, un jacuzzi, une piscine, une salle de sport et un jardin, ce bien luxueux a rapidement trouvé preneur, malgré son prix de plusieurs millions d’euros, que M. Camara a choisi de ne pas révéler. De plus, en 2024, Focus Immobilier, le promoteur, projette de livrer trois nouveaux immeubles ultramodernes de six étages, situés à seulement 500 mètres de la corniche de Dakar. M. Camara note que 60% de ses clients sont des investisseurs africains, suivis par des français et des asiatiques, qui peuvent louer leur résidence de 300 m² pour jusqu’à 3 millions de francs CFA par mois (4570 euros). Une somme astronomique dans un pays où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Pas loin du lotissement, vers le nord de la presqu’île, un grand nombre d’ouvriers travaillent sur le chantier d’une villa au bord de l’océan. Malgré la menace de la montée des eaux sur cette côte sénégalaise, le fondateur du projet ne semble pas préoccupé par le risque d’inondation. Un simple mur de béton est tout ce qui sépare cette vaste demeure de la mer. L’acheteur, qui est une personnalité de Côte d’Ivoire, a payé 3,5 millions d’euros. Cette villa de 1 200 m2 dispose de cinq chambres, une piscine de 38 m de long au milieu d’un grand jardin et une grande salle de séjour qui donne sur la plage. Elle comporte deux cuisines, une de style « américain » dans le salon et une autre à l’arrière pour le personnel. Ces derniers sont logés dans une pièce adjacente de 8 m2.

Seyni Diagne, directeur de développement de Vacap SA, se félicite d’avoir déjà commercialisé onze propriétés similaires sans recourir à la publicité. Son entreprise opte pour le bouche-à-oreille pour former une communauté harmonieuse, composée de clients ayant une bonne entente et partageant des préférences architecturales similaires. Le projet supervisé par sa société comprend la construction d’un quartier comportant environ soixante appartements sur une parcelle de 16 hectares. Un investissement minimum d’un million d’euros est requis pour un bien de 450 mètres carrés.

En février, la société a obtenu un prêt de 81 millions de dollars (75,7 millions d’euros) de la Société de financement du développement international des États-Unis, une institution publique américaine, pour construire un complexe hôtelier sur le même site. L’entreprise sénégalaise, dirigée par l’homme d’affaires Amadou Loum Diagne, a exprimé sa joie, soulignant qu’il s’agit du plus gros financement public américain dans le secteur hôtelier mondial.

Des tensions augmentent sur une partie de la côte sénégalaise, encore habitée par des familles de pêcheurs et d’où émigrent des jeunes en pirogue à la recherche d’un avenir en Europe. L’immobilier de luxe connaît une croissance spectaculaire depuis vingt ans sur cette zone de 25 km de côte, fortement convoitée par les investisseurs. Cette pression foncière et environnementale intense entraîne une privatisation du domaine public. L’architecte Pierre Atepa Goudiaby dénonce cette situation chaotique aux Almadies avec l’apparition de villas extrêmement proches de la mer. Il regrette que les Sénégalais ne puissent plus se baigner comme avant et estime que la mer a été appropriée illicitement.

Un associé d’Ousmane Sonko a déclenché l’anxiété en proclamant, le dimanche 28 avril, via la chaîne de télévision nationale, l’interruption des projets en cours sur la promenade côtière de Dakar. Cette action a été validée le jour suivant par un communiqué du ministre des Finances, révisé par Le Monde, qui impose également une inspection rigoureuse des affaires immobilières en traitement dans plusieurs zones conflictuelles à Dakar et ailleurs dans le pays. L’ambition déclarée est d’éclaircir l’ « augmentation » des litiges immobiliers qui mettent en danger la « paix sociale ».

« Cela freinera la spéculation et la prédation immobilière. Il est honteux que sur la promenade, des individus aient acquis des parcelles pour 2 400 francs CFA le mètre carré (3,65 euros) qui sont ensuite revendus jusqu’à 1,8 million le même mètre carré. Ces titres de propriétés sont illégitimes car ce domaine public ne peut être déclassifié que pour des raisons d’utilité publique et non privée », reproche Pierre Atepa Goudiaby.

« Selon la législation, la construction en dur est interdite à moins de 100 mètres de la frontière des hautes eaux. Pourtant, nous observons des constructions de plusieurs étages même sur des sites classés. C’est une absurdité que nous dénonçons depuis des années », déplore le Colonel Papa Saboury Ndiaye, responsable de la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation des sols (DSCOS). Son entité, composée de gendarmes, d’officiers de police judiciaire et d’environnementalistes, est chargée de superviser la légalité des constructions en cours.

« D’où provient cet argent ? »

La flambée immobilière ne se limite pas uniquement aux zones côtières, mais affecte également les secteurs résidentiels de la ville principale. C’est une conséquence du charme de la capitale du Sénégal pour les organisations internationales et les ONG, une croissance stimulée par les grands projets et l’amélioration des structures dans les douze années de mandat de Macky Sall. Parallèlement à cette progression, les personnes les plus pauvres ont été contraintes de quitter une ville devenue trop coûteuse.

« En considérant les zones périphériques, un salarié doit dépenser au moins 30 millions de francs CFA pour acquérir un lopin de terre. C’est inabordable et cela incite à la corruption, exprime Meissa Babou, enseignant en économie à l’Université Cheickh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar. Notre nation a très peu de milliardaires en dollars. Néanmoins, des centaines de bâtiments sont en cours de construction uniquement dans les quartiers aisés, pour un coût pouvant atteindre 1 milliard de francs CFA (1,5 million d’euros) le terrain non construit et sans emprunt bancaire. D’où provient cet argent ? »

Dans un pays considéré comme étant parmi les plus démunis au monde, la hausse de l’immobilier de luxe alimente les doutes sur le blanchiment d’argent. Même si les investisseurs interrogés affirment que l’origine des fonds est vérifiée, l’industrie reste mystérieuse.

D’après une recherche menée par l’Institut d’études de sécurité (ISS) en 2022, le Sénégal est classé huitième en termes de « risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ». Alors que le pays est devenu un point de passage pour le trafic de drogues vers l’Europe, il a entrepris, sous la présidence de Macky Sall, une lutte intensive contre le narcotrafic en renforçant les capacités de la police. Néanmoins, l’argent issu de cette activité illégale s’est largement inséré dans le secteur immobilier.

Croissance notable des grandes fortunes

Selon Abdelkader Abderrahmane, l’enquêteur de l’ISS, en 2013, 96% des 480 millions de dollars investis dans l’immobilier provenaient de sources suspectes. En 2019, presque 120 nouvelles agences immobilières ont été lancées par des trafiquants de drogues à Dakar, par rapport à la décennie précédente. Ceci a favorisé la croissance de l’industrie de la construction à travers le pays et en particulier dans les villes côtières de Dakar, Saly et Mbour, ainsi que certaines initiatives majeures comme « Akon City », le projet de nouvelle ville du rappeur du même nom, qui toutefois n’a jamais vu le jour.

Les nouvelles forces dirigeantes du Sénégal sont confrontées à la tâche de répondre au sentiment croissant de pauvreté ressenti par de nombreux citoyens face à l’enrichissement d’une minorité. Leur popularité reposant en grande partie sur leur opposition à la corruption, un certain nombre de défis se posent à eux, notamment le risque de mettre des centaines de travailleurs au chômage en cas d’arrêt des constructions.

La possible annonce de mesures de « sainage » du secteur par le président Bassirou Diomaye Faye provoque déjà des craintes chez plusieurs investisseurs, qui redoutent de devenir la cible d’une chasse aux biens mal acquis. Néanmoins, la perspective d’une plus grande transparence est accueillie avec enthousiasme par Makhmoud Camara. Selon lui, les entreprises qui connaissent l’origine des fonds via les banques et les notaires n’ont aucune raison d’être inquiètes. Une inquiétude qui n’est pas partagée par les particuliers qui construisent des immeubles valant des millions sans avoir recours à un prêt bancaire.

Alors que le nombre de personnes riches continue d’augmenter et que le Sénégal se prépare à exploiter ses ressources en pétrole et en gaz, la demande de biens de luxe reste forte. « Notre croissance est constante, mais la saturation nous menace. La suite va dépendre des choix politiques de notre nouveau gouvernement. Jusqu’ici, le gouvernement a laissé faire « , explique un investisseur. Les perspectives économiques promises par le président Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko pourraient permettre de limiter un développement auparavant incontrôlé.

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