Les occasions où Bidzina Ivanichvili, l’oligarque milliardaire et ancien premier ministre, fait une apparition publique sont rares. L’homme qui gouverne la Géorgie à partir des coulisses utilise rarement sa voix publique, sauf lorsque les circonstances l’exigent. Cependant, face à l’indignation nationale et internationale suscitée par la réintroduction du projet de loi sur les « agents étrangers », une réplique d’une loi russe visant à affaiblir la société civile et les médias indépendants, Ivanichvili a brisé son silence le soir du 29 avril.
Lors d’un rassemblement de supporters spécialement réunis, il a prononcé un discours restera gravé dans l’histoire de cette ancienne république soviétique du Caucase du Sud. Pendant vingt minutes, l’homme qui est à la fois le fondateur et le président d’honneur du parti au pouvoir, le Rêve géorgien, a lancé une attaque virulente contre les Occidentaux, l’opposition géorgienne et la société civile. Il les a tous qualifiés sous le même label – celui d’un prétendu « parti mondial de la guerre » qui comploterait pour révolutionner et renverser le gouvernement actuel, déstabilisant ainsi le pays.
L’attitude menaçante et conspiratrice de sa diatribe signale une évolution notable pour cette petite nation de 3,7 millions de personnes, qui s’efforce depuis longtemps de se détacher de l’influence de Moscou et de se rapprocher de l’Uniоn еurоpéenne (UE). « Il a exprimé sans détour une hostilité envers l’Occident, » interprète Davit Zedelachvili, expert en droit constitutionnel et chercheur au sein du groupe de réflexion indépendant Gnomon Wise, basé à Tbilissi. Selon lui, cela confirme une restructuration complète de la diplomatie nationale depuis l’accession de Rêve géorgien au pouvoir il y a une douzaine d’années, marquant un éloignement de l’Europe et une proximité croissante avec la Russie et la Chine, cette dernière étant considérée comme une option de rechange à l’Occident » et avec qui Tbilissi a établi un partenariat stratégique en 2023.
En Géorgie, de nombreux analystes établissent un parallèle entre l’oligarque géorgien et l’ex-président ukrainien pro-russe, Viktor Ianoukovitch, qui a été destitué à la suite de la révolution de Maïdan en 2014, après avoir renié son engagement de rapprochement avec l’UE. Bidzina Ivanichvili semble également y avoir pensé.
Dans son allocution, il fait référence à l’ancien leader ukrainien en tant qu’avertissement : « La Géorgie d’aujourd’hui est différente de la Géorgie d'[Edouard] Chevardnadze [ex-président géorgien de 1995 à 2003] et de l’Ukraine de Ianoukovitch », mais est un pays « dirigé par une équipe solide et unie (…) Ainsi, il est à présent impossible que le Mouvement national uni, principal parti d’opposition aux scores de soutien insignifiants, et les ONG réussissent à provoquer un changement de gouvernement ».
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