Thibault De Meyer a écrit un livre intitulé « Qui a vu le zèbre? L’invention de la perspective animale » avec une préface de Vinciane Despret. Publié par Les Liens qui libèrent, le livre compte 288 pages et coûte 22€. Basé sur la conviction des experts de zèbres que leur conception rayée leur sert de camouflage contre les prédateurs. Cela est appuyé par l’observation de Francis Galton au 19ème siècle qui notait que la robe rayée du zèbre s’accorde avec le teint clair des sols arides à la lumière lunaire, au point qu’un zèbre pourrait être entendu respirer sans être vu. Cette théorie a été soutenue par la plupart des scientifiques pendant plusieurs années, et des recherches en 2008 ont confirmé l’efficacité des rayures comme stratégie de camouflage. Toutefois, la publication de 2016 par Tim Caro et son équipe a complètement bouleversé ces certitudes acceptées. De Meyer souligne que la recherche n’est jamais aussi définie et illustre cette déclaration avec l’histoire du zèbre. L’aspect le plus impressionnant de la publication de Tim Caro était peut-être la photographie qui l’accompagnait, montrant quatre images du même zèbre avec des filtres pour simuler comment il serait vu par un être humain, un autre zèbre, un lion et une hyène.
Cette expérience a été conçue pour dissiper un doute persistant parmi les partisans du camouflage dans la noirceur. En se concentrant sur la respiration des zèbres, Galton a révélé une lacune: il était un homme, et même si les hommes peuvent chasser les zèbres de temps à autre, ces animaux ne constituent pas un aliment de base dans leur régime. Pourquoi donc se protéger d’un savant alors qu’ils restent vulnérables à un lion?
C’est la question à laquelle Tim Caro et son équipe ont cherché à répondre. Ils ont examiné les données anatomiques et comportementales pour évaluer la vision des lions et des hyènes. Ils ont découvert que les rayures, qui ne sont visibles que de très près, ne font aucune différence pour ces animaux. Mais l’odeur du zèbre, un animal à l’odeur forte, est un instrument de détection suffisamment puissant pour eux. Cela suggère que ce sont les insectes qui sont déroutés par les rayures du zèbre. Galton était dans l’erreur simplement parce qu’il n’a pas envisagé de percevoir les zèbres à travers les yeux, les oreilles et le nez d’un lion ou d’une hyène.
Ainsi, le débat entre spécialistes, qui à priori semblait moins important, se révèle beaucoup plus fondamental une fois que l’on découvre Qui a vu le zèbre ?. Il ne s’agit pas seulement d’une question à propos d’un équidé rayé. Il s’agit du monde dans son ensemble, de toutes les formes de vie qui le peuplent, et de la diversité de perceptions qu’elles impliquent. Cette diversité est précisément ce que Thibault De Meyer poursuit à travers une « philosophie de terrain », en travaillant avec des scientifiques dont les recherches élargissent notre compréhension de la réalité. De Meyer suit les traces de Bruno Latour (1947-2022), Isabelle Stengers et Vinciane Despret, qui a supervisé la thèse à l’origine du livre.
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