Bercy attend avec impatience la série correspondante de lettres. Les agences de notation Moody’s et Fitch ont pour un mandat, fixé au vendredi 26 avril, de déterminer si elles vont réduire ou non la note financière de la France. Lors des précédents rendez-vous, ces agences ont décidé de maintenir leurs notes. Malheureusement, la décision précédente de Fitch qui a diminué la note française en juin 2023, avait déconcerté le ministère de l’économie.
Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch : Ces trois appellations sont fréquemment citées dans les nouvelles économiques, accompagnées d’une évaluation variant de l’excellent (AAA) au mauvais (D). Mais, que représentent ces notes ? Faut-il payer pour obtenir une note, et à quel coût ? Qui sont ces juges de l’économie mondiale ? Quels problèmes peuvent survenir de leur mode d’opération et de leur modèle économique?
Qu’est-ce qu’une agence de notation ?
C’est une société dont la mission principale est de juger la solidité financière d’une autre entreprise ou d’une entité publique – telle qu’un État, une ville, un département ou une région. L’agence de notation se penche principalement sur la capacité de remboursement des dettes, un critère qui intéresse grandement les investisseurs.
Les analystes développent différents scénarios et estiment le risque que chacun se réalise, en s’appuyant sur les flux financiers entrants et sortants de l’entité jugée. Ils utilisent parfois des informations fournies par l’entreprise évaluée ou celles de sources telles que Eurostat ou l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
L’agence considère également des facteurs plus larges tels que, pour la France, « les tensions sociales et politiques représentées par les manifestations contre la réforme des retraites », pour reprendre les mots de la note d’avril de Fitch. Au final, l’agence propose une évaluation présentée sous forme de lettres, de AAA (solide solvabilité) à D (banqueroute). Moody’s ne va pas au-delà de C, avec un système de notation légèrement différent des deux autres.
Qui sont les « Big Three » ?
Partageant la majorité du marché mondial, trois entreprises de notation, toutes basées aux États-Unis, dominent : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. En 2022, les « Big Three », leur surnom habituel, détenaient 93 % du marché de l’Union européenne. Et bien que l’Autorité Européenne des Marchés Financiers recommande de privilégier une des dix-sept autres agences accréditées minoritaires, ces trois géants maintiennent leur emprise sur les notations. Depuis 2017, aucune des entités publiques françaises qui ont sollicité des notations financières n’a suivi cette recommandation, préférant s’adresser à l’un des trois géants.
Un des « Big Three », Fitch, avait des capitaux français jusqu’en 2018. Auparavant possédée par Fimalac, une propriété du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, elle a finalement été vendue à la société de médias américaine Hearst Corporation. Ses deux concurrents appartiennent à deux groupes spécialisés dans l’information financière, S&P Global et le conglomérat Moody’s Corporation, partiellement détenu par le milliardaire Warren Buffett. Ces deux entreprises, cotées en Bourse, sont tenues de publier leurs résultats financiers : malgré un nombre de notations effectuées moins élevé, elles ont plus que doublé leur chiffre d’affaires au cours des dix dernières années.
Quels sont les impacts d’un abaissement de la note ?
Lorsqu’une agence de notation réduit la note attribuée à une entité, cela est généralement désigné comme une dégradation de la notation. En plus de cela, cette action dégrade également ses conditions de prêt. Compte tenu du manque de critères objectifs sur les marchés financiers, cette note, bien qu’elle soit juste indicatrice, a tendance à avoir une influence significative. En effet, elle est obligatoire dans la gestion de gros comptes.
Pour illustrer cela, un expert de BNP Paribas avait déclaré lors d’une audition au Sénat en 2012 que tous leurs clients professionnels, des fonds de pension nordiques aux banques centrales asiatiques, qui ont des années de réserves, ont élaboré leurs règles de gestion en fonction du rating: aucune limite pour le triple A, une limite pour le double A, pas plus de 5% pour le A, interdiction au-delà.
Chaque variation de note est surveillée de près par les différents intervenants, car elle détermine si, et combien, un Etat, une collectivité ou une entreprise peut emprunter auprès des investisseurs, et à quel taux. Par exemple en 2009, lorsque les agences de notation ont soudainement dégradé les notes des prêts hypothécaires à risque (subprimes), leur valeur a chuté sur les marchés et plusieurs fonds d’investissement ont dû fermer.
La crise des dettes en Europe, où la plupart des pays du sud de l’Europe ont été relégués à des catégories à haut risque, illustre parfaitement cette situation. Comme le soulignait Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France en 2012, les prédictions concernant la durabilité de la dette peuvent devenir auto-réalisatrices. Elles entraînent une augmentation des primes de risque et des taux d’intérêt, ce qui nécessite de générer des excédents primaires plus élevés et rend plus difficile l’atteinte de l’équilibre budgétaire.
« Comment est-ce qu’elles génèrent des revenus ?
Depuis les années 70, le mode de fonctionnement des agences de notation a changé. Elles étaient précédemment rénumérées par les utilisateurs ultimes de leurs évaluations, notamment les institutions bancaires qui voulaient investir leur capital de manière sécurisée. Actuellement, elles sont payées par l’entité, qu’elle soit publique ou privée, qu’elles évaluent : leur sujet d’examen est leur client. Seules certaines évaluations sont offertes gratuitement, celles des pays les plus fortunés, car elles sont cruciales pour établir une comparaison. L’Agence France Trésor, qui gère la dette française et qui est notée gratuitement, désigne ces évaluations comme étant des « notations non sollicitées ».
En complément à ces évaluations souveraines, d’autres entités publiques peuvent solliciter une évaluation pour pouvoir par la suite recueillir des fonds sur le marché de la dette : régions, départements, villes, hôpitaux… Selon son dernier contrat, la Ville de Paris a alloué près d’un million d’euros sur une période de quatre ans pour son évaluation et le « suivi de [sa] qualité de crédit ». Le 9 mai, à cause de la dévalorisation de la note française, elle a vu, avec onze autres collectivités territoriales, sa note descendre à AA−.
De plus, les entreprises font de plus en plus appel à une évaluation (+ 20 % en dix ans). Les agences sont généralement très réticentes à divulguer leurs tarifs, mais selon plusieurs sources, une agence reçoit plusieurs dizaines de milliers d’euros pour évaluer une PME, et jusqu’à un million d’euros pour une banque majeure ou une grande compagnie d’assurance.
En revanche, la croissance du secteur début des années 2000 lié à des produits spéculatifs sophistiqués comme les subprimes a nettement ralenti suite à la crise financière de 2009 causée par l’éclatement de la bulle immobilière américaine.
Comment sont prévenus les conflits d’intérêts ? »
La crainte d’un conflit d’intérêts a été soulevée par le récent modèle économique qui met les agences de notation sous pression. En particulier, ces agences peuvent être tentées d’atténuer une note pour garantir la satisfaction d’une entreprise côtée, qui est également leur client. Par exemple, lors de la crise de 2009, un email d’une dirigeante de Standard & Poor’s, obtenu par un comité d’enquête sénatorial américain, mentionnait la possibilité de modifier les critères d’évaluation pour éviter de perdre certains clients insatisfaits de leur note qui pourraient aller voir ailleurs. Cependant, les agences assurent actuellement qu’il existe une séparation claire entre leur département commercial et celui de l’analyse.
Ce n’est qu’après la crise de 2009 que l’Europe s’est attelée à la question de la régulation de ces acteurs financiers controversés. L’Autorité européenne des marchés financiers, auprès de laquelle les agences doivent être accréditées, a désormais le pouvoir de mener des enquêtes si des infractions potentielles sont détectées. En cas extrême, les agences peuvent même perdre leur accréditation.
En 2019, Fitch a été condamnée à payer une amende de plus de 5 millions d’euros pour avoir enfreint la législation sur la prévention des conflits d’intérêts en évaluant le groupe Casino. M. Ladreit de Lacharrière, qui était à l’époque administrateur du groupe et propriétaire de l’agence de notation via sa holding, est impliqué. En 2021, c’est au tour de Moody’s de recevoir une amende totale de 3,7 millions d’euros, répartie entre ses cinq divisions européennes, pour avoir évalué plusieurs entités dans lesquelles Berkshire Hathaway, son actionnaire, détenait des parts.
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