Dans une maisonnette dissimulée par une végétation dense, une réunion a été organisée secrètement pendant la nuit. Sept individus, hommes et femmes, se sont rassemblés, assis autour d’une table en bois. Ils sont prudents, sachant qu’ils ne peuvent révéler aucun détail qui pourrait permettre d’identifier quelqu’un. Le danger est constamment présent – ceux qui se sont déjà révélés ont subi de lourdes conséquences, perdant leur visa et étant contraints de quitter le pays.
Cette cachette secrète est en réalité le quartier général des rebelles d’Auroville, située dans le sud de l’Inde. Depuis trois ans, ces derniers luttent contre une administration déterminée à reprendre le contrôle de la ville idéale. Auroville se trouve dans le Tamil Nadu, à moins de 10 kilomètres de l’ex enclave française de Pondichéry. Le projet a été lancé le 28 février 1968 par la Française Mirra Alfassa (1878-1973) avec la vision d’en faire un havre de paix et de harmonie. Aujourd’hui, cet endroit ressemble plus à un champ de bataille.
Le conflit a divisé les quelques milliers d’habitants de la communauté, entraînant de multiples procédures judiciaires en cours. Les plus défaitistes ont déjà fait leurs valises. Une atmosphère néfaste, remplie de peur et de colère, de théories du complot et d’autoritarisme, pèse sur la magnifique frondaison d’Auroville. La ville se trouve peut-être à l’aube de son déclin.
« Notre vision est actuellement mise à mal, explique l’une des hôtesse, baptisée sur ces terres par des parents en quête d’explications, qui ont débarqué aux premiers jours de ce voyage pour bâtir un monde parfait, égalitaire et d’union. Le patrimoine construit ici par 99 % des Aurovillites est entrain d’être détruit sous notre observation, ce qui est extrêmement déchirant. A son commencement, Auroville était un plateau semi-désertique, secoué par les vents et les cyclones. Aucun Indien ne souhaitait résider sur une terre aussi mal lotie, dénuée d’eau et d’électricité. La mission première des pionniers, une cinquantaine de personnes, a été d’arrêter l’érosion du sol, transformé en amas de boue spongieuse à chaque saison des pluies. Ils ont créé des barrages et des monticules pour retenir l’eau, ils ont planté des milliers d’arbres, banians, palmiers, neems, acacias d’Australie, bambous, eucalyptus.
C’est une lutte idéologique. À l’aube, le lendemain de notre rencontre, nous découvrons les « cadavres » mentionnés la veille en privé. Des centaines d’arbres, parmi les trois millions plantés avec patience depuis plus d’un demi-siècle, ont été abattus pour construire la Crown Road, une voie large dotée de lumières kitsch et prolongée de douze radiales. D’immenses cicatrices déchirent l’oasis de verdure, auparavant traversée par des chemins rustiques en latérite rouge. Les premiers arbres ont été coupés il y a trois ans, dans la nuit du 4 décembre 2021, sur ordre de la secrétaire de la Fondation Auroville, Jayanti Ravi, malgré les objections des résidents.
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