L’aspect inattendu est un élément central du nouveau livre de l’auteur beninois Florent Couao-Zotti, intitulé « Comment tuer dix fois un criminel… ». Le titre pourrait laisser présager une suite de nouvelles criminelles, mais il se réfère simplement à la dernière histoire d’une compilation de huit, toutes très distinctes. L’éminent écrivain, auteur de « Western tchoukoutou » et de plus d’une douzaine d’autres œuvres, propose dans ce livre divers genres qui vont du thriller à la comédie urbaine, comprennent un conte mystique, des chroniques de la vie de tous les jours, une tragédie et même une dystopie.
Dans le premier récit du livre, une femme effectue un rituel mystérieux pour chercher la bénédiction des dieux. Fatiguée de donner naissance à des enfants morts-nés, elle suit les conseils d’un guérisseur bien connu, mais aux prescriptions douteuses : « Pendant trente jours, il fallait nourrir les mendiants, les indigents, les fous. Et dans la dernière semaine, elle-même, vêtue de haillons, devait errer sur le marché pour concevoir un enfant d’un fou ou d’un étranger au milieu de la foule ». Parviendra-t-elle enfin à avoir un enfant viable ?
D’autre part, le marché populaire Dantokpa de Cotonou prend vie dans le livre. Considéré comme le plus grand et le plus complexe de l’Afrique de l’Ouest, l’écrivain présente une chronique de ses ruelles et boutiques cachées à travers un monologue intérieur.
Dans « Le Blues du chachacha », un récit datant de 1970, une femme humble se tient devant nous, dansant sur l’hymne des indépendances que le Congolais Joseph Kabasele a rendu célèbre. « L’artiste maniait des mélodies piquantes, et sa voix, aiguisée et féminine, montait en intensité… Et elle riait, ravie de donner de la signification aux paroles, la tête levée vers le plafond, les yeux fermés. » Pour quelques moments, le prêtre local la rejoint, mettant de côté son sérieux pour se laisser aller à la danse, mais quittant en colère à l’écoute des paroles de la chanson signalant la fin de la domination coloniale.
Au premier coup d’œil, l’œuvre peut sembler hétérogène, mais la riche langue de l’auteur, son humour délicieux et son style rempli d’énergie balayent cette impression, pour le bonheur du lecteur. On ressent à travers les pages l’excitation que Florent Couao-Zotti devait ressentir en explorant ses propres pensées et en partageant ce plaisir avec nous.
Double Entente
Ajoutée à cette jubilation linguistique se trouve le plaisir des scénarios et des images, alternativement tragiques ou humoristiques, qui prennent le lecteur au dépourvue en exploitant parfois habilement son anxiété. L’auteur dépeint un monde urbain, sensuel et effervescent, qui, bien qu’inspiré sans aucun doute par la ville de Cotonou, pourrait se trouver ailleurs en Afrique de l’Ouest. On navigue avec lui depuis la surface de la terre, baignée de soleil ou de pluie, jusqu’aux profondeurs de la terre.
Dans un des exploits narratifs les plus marquants de l’ensemble, « Le Futur recomposé », l’auteur nous emmène dans un futur troublant où, suite à des années de féminicides systématiques, les femmes, devenues une curiosité, sont persécutées et maltraitées par les hommes. « Les projections avaient annoncé depuis 2050 : il n’y aura plus de femmes d’ici 2100 […] Un grand déséquilibre nous menace. Actuellement, le rapport est d’une femme pour quinze hommes, en 2100, il y aura une femme pour cent vingt-cinq hommes. »
Au commencement de la nouvelle, une jeune femme dont le travestissement d’homme a été démasqué, est contrainte d’échapper à un regroupement d’hommes formant une meute. Pour y parvenir, son seul refuge est le plus répugnant des égouts.
Est-ce une vision dystopique exagérée ? Assurément, si on choisit de prendre le recueil du point de vue humoristique et excessif. Grâce à cette perspective, on détectera d’abord l’humour et l’hyperbole des situations et on admirera le talent de l’écrivain. Cependant, une interprétation plus grave du livre est possible, considérant chaque nouvelle comme représentant un échec social plus large. Une lecture plus politique d’une société où douceur et sentimentalité sont absentes et où la violence – voire la sauvagerie – ont pris le dessus sur les anciens codes sociaux.
Un tableau non seulement dystopique, mais apocalyptique. Florent Couao-Zotti cependant, ne prend pas explicitement parti et laisse libre cours à cette double interprétation, nous laissant esquisser nos conclusions. Une démonstration supplémentaire du talent de cet auteur.
Comment tuer dix fois un criminel…, de Florent Couao-Zotti, 122 pages, éd. Continents, Lomé (Togo), 5 000 francs CFA.
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