Le quartier de Saint-Ouen à Seine-Saint-Denis est toujours en état d’édification. L’appartement est éclairé et orné avec une simplicité qui guide l’accent sur les teintes légères. Josée Kamoun y réside depuis maintenant six mois. Il est à proximité du célèbre marché aux puces de la ville, un détail qui a son importance lorsqu’elle partage sa vision du monde et son excitation d’être « seulement une pièce du puzzle ». Elle exprime son amour pour les objets d’occasion, porter des habits ou des bijoux qui ont déjà été portés par d’autres, et se plonger dans un passé qui ne lui appartient pas. C’est un aspect fondamental de sa personnalité. Cela l’amène à chérir les marchés aux puces et y trouve énormément de bonheur lorsqu’elle doit « transmettre » des textes écrits par d’autres, en essayant de comprendre leurs pensées et leurs rythmes. Elle a fait cela pendant près de quarante ans avant de prendre sa retraite de l’éducation nationale, où elle enseignait l’anglais en classes préparatoires puis était inspectrice générale. « Ce travail m’élargit, me donne des super-pouvoirs », dit-elle.
Ayant déjà accompli une cinquantaine de traductions, l’idée d’écrire un livre où son nom serait le seul à apparaitre sur la couverture ne la perturbait pas outre mesure : « Je me prête à l’écriture de fiction, tout comme n’importe qui. J’ai rédigé des nouvelles pendant la période de confinement, mais elles ont pour vocation de demeurer dans mes tiroirs », confie-t-elle, affichant une retenue concernant ses aspirations éditoriales que les journalistes littéraires ne rencontrent pas souvent. Toutefois, au début de l’année 2021, lors d’un déjeuner entre amis, elle rencontre Jean-Loup Chiflet, écrivain, éditeur, collaborateur des éditions Plon et connu entre autres pour ses hilarants bréviaires de traduction Sky my husband (1978-2016). « Je lui ai suggéré qu’il devrait se consacrer à un « Dictionnaire amoureux de la traduction ». Il a retourné le compliment : « Cela vous conviendrait. » Deux semaines plus tard, elle signe son contrat. « C’est un livre que je me sentais apte à écrire, un sentiment que je n’éprouve que rarement. » Elle se hâte d’ajouter : « Mais j’estime que bien d’autres auraient été également compétents que moi, même si le résultat aurait été différent. » Elle est une éternelle curieuse.
Ce texte est un savant mélange d’érudition et d’accessibilité. C’est clairement indiqué par l’ancienne professeure qui stipule qu’un « dictionnaire amoureux » ne vise pas les experts, mais bien les amateurs. Ce document est marqué par l’intelligence exubérante et ludique de l’auteure, ainsi que sa curiosité multidimensionnelle qui couvre la littérature, la linguistique, la musique, la langue des signes et l’anthropologie sociale. Elle a étudié ce dernier sujet entre son agrégation d’anglais et son doctorat en littérature centré sur Henry James. Elle considère cette « diversion » presque plus vitale pour une aventure de traduction. Ce Dictionnaire amoureux comporte des anecdotes personnelles, néanmoins il serait outrancier de dire qu’elle se révèle en profondeur dans ce document. « Je suis obsessive, pas hystérique », déclare-t-elle avec un rire éclatant pour justifier sa réticence à se dévoiler beaucoup dans son écrit – « mais tout ce que je donne là-dedans parle de moi ».
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