À Ouagadougou, l’expulsion de diplomates et collaborateurs français ainsi que l’arrestation de voix contraires à l’opinion publique n’a pas été une surprise. Le mardi 16 avril, le ministère burkinabé des affaires étrangères a déclaré trois diplomates français « persona non grata », les accusant d' »activités subversives ». Cette déclaration a été faite dans une lettre envoyée à l’ambassade de France à Ouagadougou vue par Le Monde.
Deux conseillers politiques et une rédactrice qui travaillent normalement au Quai d’Orsay à Paris, mais qui étaient en visite au Burkina Faso pour le travail, ont été invités à quitter le pays au plus tard le jeudi 18 avril dans la soirée, selon plusieurs sources locales. Cette action représente une nouvelle attaque du gouvernement contre Paris, une phase supplémentaire dans la dégradation des relations diplomatiques et militaires entre la France et le Burkina Faso initiée par le capitaine Ibrahim Traoré depuis son coup d’état en septembre 2022.
Le gouvernement n’a pas détaillé la nature des « activités subversives » reprochées aux trois diplomates français dans sa lettre, et n’a pas répondu aux demandes de Le Monde. Selon nos informations, la rédactrice du ministère des affaires étrangères a rencontré plusieurs groupes de la société civile et des ONG pendant sa visite, accompagnée de ses collègues de l’ambassade, sur les abus autoritaires de la junte et les meurtres de civils par l’armée, selon une source sécuritaire burkinabé. « Le gouvernement n’a pas accepté cette activité parce qu’il fait tout pour rester au pouvoir et se méfie des activités soutenues par les chancelleries occidentales dans le but d’organiser la résistance civile », analyse-t-elle.
Au cours d’un entretien avec France 24 et RFI le 8 avril, Stéphane Séjourné, ministre des affaires étrangères, a mis en avant l’importance pour la France de maintenir « des relations avec les organisations humanitaires et la société civile », mais « non avec les autorités », au Burkina Faso, ainsi qu’au Mali et au Niger. Ces trois pays ont exclu la France suite au coup d’État et l’arrivée au pouvoir des putschistes.
« Accusations sans fondement »
Après l’expulsion de ses quatre diplomates du Burkina Faso, le département des affaires étrangères français a rejeté « les accusations sans fondement émises par les autorités burkinabè ». Le Quai d’Orsay a regretté cette décision « qui n’a pas de base légitime ». En début décembre 2023, Paris avait déjà contesté des allégations d’espionnage formulées par le gouvernement burkinabè contre quatre fonctionnaires français. Ces individus, initialement présentés par une source officielle française comme des « techniciens » venus à Ouagadougou pour effectuer une « opération de maintenance informatique pour l’ambassade de France », sont en réalité des agents du service de renseignement extérieur français (DGSE), selon plusieurs sources burkinabè et diplomatiques occidentales.
Après avoir été incarcérés sans que les raisons de leur arrestation ne soient communiquées, ils ont par la suite été placés en résidence surveillée dans la capitale, et ne sont à ce jour pas encore libérés.
Selon certaines sources diplomatiques et de sécurité, l’arrestation de plusieurs agents de la DGSE présents au Burkina Faso, a obligé Paris à les rapatrier. Les observateurs suspectent les services de renseignement russes d’être à l’origine de cette action, d’autant plus qu’ils étaient arrivés à Ouagadougou une quinzaine de jours plus tôt pour accroître la coopération de sécurité entre le Burkina Faso et la Russie.
La détention de ces quatre agents a été exploitée par la junte pour contraindre la France à renvoyer des Burkinabés considérés comme subversifs, pression à laquelle Paris a résisté. Le jour où l’attaché militaire de l’ambassade de France a été accusé d’activités subversives et expulsé du pays en 15 jours. Deux autres français qui étaient employés par une entreprise locale avaient été préalablement accusés d’espionnage et expulsés du Burkina Faso en décembre 2022.
Parallèlement, la junte avait demandé le remplacement de l’ambassadeur français, Luc Hallade, en adressant une lettre au Quai d’Orsay fin décembre sans en préciser les raisons. Une autre preuve du conflit croissant entre la France et le Burkina Faso était le retrait inattendu de l’accord de défense entre les deux pays signé en 2018 émanant du capitaine Traoré en janvier 2023. Cet accord supervisait la présence d’environ 400 soldats des forces spéciales françaises de l’opération « Sabre » autour de Ouagadougou.
Tous les soldats ont quitté le pays le 18 février. Leur départ a été suivi par celui de l’ensemble des militaires français incorporés dans les administrations du Burkina Faso en vertu d’un accord d’assistance militaire signé avec Paris en 1961, également remis en question par le régime fin février.
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