Au fil de trente-cinq ans d’amitié, Ferran Adrià n’avait jamais entendu son ami José Andrés pleurer. Mais le 2 avril, tôt le matin, le célèbre cuisinier espagnol reçoit un appel affligé de son compère, son « frère », lui aussi un chef étoilé et le fondateur de l’ONG américaine, World Central Kitchen. Andrés était anéanti : seulement quelques heures auparavant, sept membres de son ONG avaient été tués dans la bande de Gaza, foudroyés par trois missiles déchargés successivement par un drone de l’armée israélienne. La veille au soir, dans leur grand entrepôt de Deir Al-Balah, Zomi Frankcom, Damian Soból, Jacob Flickinger, et Saifeddin Issam Ayad Abutaha déchargeaient 100 tonnes de provisions, permettant l’acheminement par une voie maritime reliant Chypre et les territoires palestiniens.
Lorsqu’ils décident de retourner à leur base de Rafah, située à la limite avec l’Egypte, la nuit était déjà tombée. Cependant, cela ne les a pas préoccupés car, l’équipe de World Central Kitchen était familière avec ce trajet, parcouru maintes fois depuis le commencement de la guerre entre Israël et le Hamas en octobre 2023. En outre, ils étaient escortés par trois ex-militaires britanniques, à savoir John Chapman, James Kirby et James Henderson, devenus membres de la société de sécurité privée Solace Global, qui avait été embauchée par l’ONG. Comme ils avaient pour coutume, ils avaient préalablement transmis les coordonnées GPS de leurs trois véhicules, dont deux blindés, aux autorités israéliennes.
Lors d’un voyage qui n’a duré que quelques kilomètres, un premier projectile a heurté un des véhicules dans le convoi, mais n’a pas détoné. Les travailleurs humanitaires se sont repliés dans une seconde voiture, qui a également été la cible d’un missile israélien. Tous ont été tués par une troisième attaque sur le dernier camion de l’ONG. Le lendemain, qualifiant l’incident de « grave erreur », l’armée israélienne a expliqué avoir ciblé un individu armé qui aurait été repéré dans le bâtiment de l’organisation humanitaire et qui aurait pu se faufiler dans le convoi. « Ceci aurait dû être évité », a admis le chef d’état-major Herzi Halevi. Sur une des photos largement partagées sur les médias sociaux, on peut clairement voir l’impact du missile israélien sur le premier véhicule, précisément à l’endroit où le nom « World Central Kitchen », avec le logo de l’ONG, est écrit en grosses lettres.
Fondée en 2010 par le chef espagnol-américain José Andrés, cette organisation s’est taillée une place dans la scène géopolitique en développant un nouveau modèle d’aide humanitaire lié à la gastronomie. Dans les régions touchées par des désastres, elle travaille avec des chefs locales, fournit des ingrédients, aide à la préparation des repas chauds et les distribue aux communautés en crise. L’assistance logistique est toujours accompagnée d’un soutien financier, souvent significatif, envers les restaurants partenaires sur place. Avec son équipe de quelques dizaines d’employés et ses centaines de bénévoles, World Central Kitchen affirme avoir distribué près de trois cent cinquante millions de repas chauds.
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