Un expert en marketing numérique pourrait formuler de manière provocante : «Informé est récompensé». Cela signifie que si les employés rapportent des chiffres positifs conformément aux objectifs, leur chèque de paie sera augmenté en conséquence.
C’est exactement ce qui est arrivé à la banque américaine Wells Fargo: au début des années 2010, elle a établi des objectifs de vente et d’ouverture de comptes pratiquement inatteignables pour ses agents commerciaux (environ vingt par jour!).
Et quelle en a été la conséquence? D’innombrables comptes ont été ouverts de manière frauduleuse par les employés jusqu’en 2016, au mépris du consentement du client. Astucieux, si ce n’est que cette chasse au profit a fini par se faire connaître. Plutôt que de remettre en cause leur approche, l’entreprise a choisi de licencier 5300 «fraudeurs», coûtant ainsi plusieurs milliards de dollars. Il est probable que les mauvais KPI (Key Performance Indicators – indicateurs de performance clés) étaient le coupable.
Les KPI sont essentiels pour le management. À l’origine, un indicateur est très précis : il s’agit d’un chiffre clé qui permet d’évaluer le rendement d’une entreprise par rapport à ses objectifs. Par exemple, le coût par unité produite dans une usine, ou le taux de clics sur un e-mail. On le trouve sur des tableaux de bord prospectifs, il y a des objectifs à atteindre, et selon les performances, il doit guider les décisions conséquentes.
Hélas, le nombre de KPI a augmenté progressivement, touchant plus ou moins tout ce qui est lié à la productivité. Vous voulez mesurer la performance technique ? On évalue le volume de dossiers qu’un employé gère chaque jour. Qu’en est-il de la performance sociale ? Cela se réfère au taux de satisfaction client. La performance interne, quant à elle, dépend du pourcentage de collègues qui vous perçoivent comme une personne aimable et bienfaisante. Et la performance physique ? C’est le temps que vous pouvez passer à votre poste sans aller aux toilettes ou sans faire une pause. La performance mentale ? Il s’agit du pourcentage d’employés qui se sentent « en détresse psychologique » à cause de leur manager… le même qui leur a fourni tous ces repères à garder en tête.
Au fil du temps, la liste de tâches (ou « to do list ») s’agrandit, rendant impossible pour les travailleurs de jongler avec tous ces KPI sans devenir des robots sans réflexion, au risque de surchauffer lorsque les objectifs sont impossibles à atteindre.
Parfois, ces objectifs sont même contradictoires : c’est le cas dans les professions qui reçoivent du public, et qui doivent à la fois répondre aux exigences de clients demandeurs d’un service personnalisé tout en atteignant les quotas imposés par l’entreprise. Pour citer l’expression des ergonomistes Corinne Gaudart et Serge Volkoff dans leur livre « Le Travail pressé. Pour une écologie des temps du travail » (Les Petits Matins, 2022), ces travailleurs doivent « être rapide tout en prenant leur temps ».
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