Un dimanche soir de mars, une petite foule se rassemble près du Teatro Oficina à São Paulo, Brésil. Le spectacle du soir, « Le Ballet du dieu Mort » de Flávio de Carvalho, dépeint le culte taurino-priapique de Dionysos. Les spectateurs attendent en file à l’entrée, où une plaque discrète portant l’inscription « rue Lina Bo Bardi » est suspendue, mais elle passe presque inaperçue.
Qui est Lina Bo Bardi? Cette architecte italienne devenue brésilienne (1914-1992) est à l’origine de l’Oficina, un lieu unique, qui se caractérise par une piste rectangulaire entourée de gradins qui ressemblent à des échafaudages. En 2015, le journal britannique The Guardian a classifié l’Oficina comme le « meilleur théâtre du monde ». Malgré l’admiration des artistes pour « Lina », aucune rue de Sao Paulo ne porte officiellement son nom, une ironie pour une artiste dont le travail est célébré à travers tout le Brésil et qui a conçu de nombreux bâtiments emblématiques de cette métropole.
À São Paulo, elle a construit la Casa de Vidro, qui est à la fois son domicile personnel, un refuge et un chef-d’œuvre. Cette maison, située au milieu de la jungle du quartier de Morumbi, est supportée par des pilotis, est faite de béton et a une façade en verre, ce qui la place d’emblée dans le courant moderne de l’architecture. Cependant, elle se distingue par sa sensualité et par l’éclectisme de son intérieur, rempli de divers objets (des armoires vénitiennes, des figurines en argile, un bouddha, une sculpture de zèbre, un masque de tigre…), qui sont bien loin de la pureté du Corbusier ou même d’Oscar Niemeyer, figure emblématique de l’architecture brésilienne. Aujourd’hui, elle héberge l’Institut Bardi, un lieu dédié à l’architecture et au design, où sont organisées régulièrement des visites et des expositions.
Il y a aussi le MASP, le musée d’art de São Paulo, qui est l’un des plus visités du Brésil. Situé sur l’avenue Paulista, souvent comparée aux Champs-Élysées de São Paulo, depuis 1968, il se distingue par ses quatre imposants piliers rouges qui soutiennent une galerie opaque de 74 mètres de long qui accueille de nombreuses manifestations politiques.
En 1982, Lina Bo Bardi a également réalisé le SESC Pompéia, où les entrepôts d’une ancienne usine de tambours cohabitent avec trois grands bâtiments en béton reliés par des passerelles et percés de fenêtres qui ressemblent à des trous de caverne. C’est un lieu de vie où l’on trouve un restaurant, des concerts, des spectacles, des expositions, des cours d’artisanat, une piscine et même des soins dentaires.
C’est un voyage sans retour.
Née loin du Brésil, en 1914, dans une famille modeste de Rome mais enrichie par des figures savantes, Achillina Bo a laissé son empreinte architecturale indélébile au Brésil. Son père, Enrico, un peintre amateur et anarchiste, lui a enseigné l’art de l’aquarelle et du dessin. Faisant preuve d’audace, elle décide d’étudier l’architecture à l’université de Rome, un choix audacieux pour une femme dans une Italie gouvernée par Mussolini, où le rôle des femmes se limitait principalement à être des mères. Elle a étudié l’architecture à la faculté de Rome, dominée par les fervents de l’architecture fasciste lourde, parmi eux Marcello Piacentini, qui a supervisé la construction du quartier EUR, un pilier du régime. En 1939, après avoir terminé ses études, Bo s’installe à Milan, une ville plus ouverte à de nouvelles idées, y compris le modernisme promu par Le Corbusier. Le reste de cet article est accessible uniquement aux abonnés.
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