Boubacar Boris Diop, romancier et essayiste sénégalais né à Dakar en 1946, nous confie que si c’était à refaire, il commencerait par écrire dans sa langue natale. Il a attendu jusqu’à 2003 pour faire éditer son premier ouvrage en wolof, Doomi Golo, lequel il traduirait lui-même en français six ans plus tard sous le titre Les Petits de la guenon. Depuis lors, il a pris la décision de rédiger ses romans uniquement en wolof.
L’ex-journaliste met au cœur de ses travaux la question de la langue. Son œuvre, depuis Le Temps de Tamango, son roman politique et fictionnel paru en 1981, explore la mémoire du Sénégal via sa mythologie, sa littérature et ses actualités actuelles. On retrace ce thème dans Un tombeau pour Kinne Gaajo, son roman récent où une auteure imaginaire perd la vie dans le naufrage du ferry Joola en 2002.
On retrouve souvent dans les écrits de Boubacar Boris Diop des profils dérangés, une femme intrigante et puissante, des politiciens atteints du complexe du sauveur, des plats appétissants du Sénégal (baasi-salte, ñeleñ, ndambe et mbaxalu-saalum), des termes en wolof et une dépeinture de Dakar, la « ville-pagaille ». On retrouve également les proverbes de Njaajaann Njaay, le légendaire ancêtre à l’origine de la nation wolof.
L’immense travail de Diop a été reconnu en 2022 par l’attribution du prestigieux prix international de littérature Neustadt. Son mot de passe pour ses travaux est « Léebóon ».
« Léebóon », qui signifie « il était une fois » en wolof, apparaît fréquemment dans les romans de Boubacar Boris Diop centrés sur le Sénégal, énoncé par le narrateur ou des personnages secondaires. Comme le souligne un proverbe sénégalais cité dans de nombreux livres, « Une histoire ne se révèle véritablement que lorsqu’elle est racontée dans la langue de celui qui l’a vécue ». Il est habituel que l’auditeur du conte intervienne et que les histoires s’emboitent les unes dans les autres. Cette tendance n’est pas bafouée dans Un Tombeau pour Kinne Gaajoo.
Le roman est structuré en deux parties majeures : l’une narrée par Njéeme Pay qui essaie de retracer la vie de son amie Kinne, et l’autre par Kinne elle-même, une écrivaine et prostituée. La figuration constante du conte chez Boubacar Boris Diop met en lumière son « panthéon littéraire », dominé par une conteuse en wolof : sa mère. Se remémorant son enfance, il commente, « J’étais un enfant impressionnable et donc persuadé que tout ce qu’elle disait était vrai. J’ai très tôt compris la puissance des mots – prononcés ou imprimés – mais aussi que le monde réel et le monde imaginaire peuvent fusionner. »
Les écrivains français du 19e siècle, admirés par son père, un intendant né la même année que Léopold Sédar Senghor (1906-2001), ont également laissé une empreinte sur lui. Son premier roman, écrit à 15 ans et jamais publié, résonnait un « lyrisme hors du commun » inspiré de Lamartine ou de Rimbaud. Retrospectivement, il avoue, « Je n’avais pas d’intérêt pour ce qui se passait dans la société, mais j’étais satisfait quand je réussissais à écrire de belles phrases. Par la suite, j’ai réalisé que cela ne constituait pas de la littérature. ».
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