Dans son carnet, la militante féministe Madeleine Pelletier (1874-1939) exprime une pensée poignante: « De toute évidence, j’ai vu le jour des siècles trop tôt ». Cette remarque vient à l’esprit à la lecture de ses mémoires autobiographiques intitulées « Mémoires d’une féministe intégrale ». Ce travail, soigneusement présenté par l’historienne Christine Bard, exprime l’exactitude de ses paroles. Ignorée, méprisée et ridiculisée pendant sa vie, elle est pourtant de notre époque.
Pelletier est décédée dans l’extrême pauvreté, arrêtée et internée dans un asile psychiatrique pour avoir assisté une jeune fille qui avait été violée par son frère à avorter. Sa dépouille a été jetée dans une fosse commune. Il a fallu jusqu’au 8 mars pour qu’elle soit enfin reconnue par le président de la République Emmanuel Macron dans son discours qui officialisait le droit à l’IVG dans la Constitution. La question se pose donc: pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour redécouvrir Pelletier et pour pouvoir la lire aujourd’hui?
La survie de ces documents fragiles, un patchwork éclectique recueilli presque clandestinement, est due à un cocktail de chance et d’activisme acharné, comme le relate Christine Bard au « Monde des livres ». En avril 1933, Madeleine Pelletier a prudemment confié son manuscrit le plus volumineux, intitulé « Mémoires d’une féministe », à Marie-Louise Bouglé. Cette dernière, une sorte d’archiviste non officielle pour les féministes extrêmes, a vu ses archives mise en danger par sa mort en 1936. Cependant, une organisation fut créée pour les préserver. Une décennie plus tard, la Bibliothèque historique de la Ville de Paris a pu abriter ces documents. Néanmoins, ce n’est qu’en 1980 que l’inventaire des documents a commencé.
Les deux autres parties de la collection sont conservées à la bibliothèque Marguerite-Durand à Paris: le journal de guerre, dans une version retranscrite puisque l’original a disparu, probablement volé, dans les années 1990, ainsi que le dernier texte de la série, peut-être le plus poignant : un récit de l’enfance de Madeleine Pelletier qu’elle a dicté à l’une de ses amies, l’enseignante féministe et pacifiste Hélène Brion, juste six jours avant sa mort en asile. Christine Bard met l’accent sur la fragilité de ces liens de transmission, soulignant que ces archives féministes n’ont pas été conservées par des moyens officiels mais grâce à des actions militantes.
Vous pouvez lire les 67,76% restants de cet article si vous êtes abonné.
Laisser un commentaire