Lundi 15 Avril à Paris, une conférence humanitaire cruciale sur le Soudan aura lieu, exactement un an après le commencement du conflit. Les questions en jeu sont énormes : l’avenir de ce qui est le troisième pays le plus vaste d’Afrique est en danger; la survie de millions de femmes, d’hommes et d’enfants dépend de cette situation à l’heure où une famine menaçante et une période de stress alimentaire se dessinent; et la stabilité d’une région déjà surchargée par des centaines de milliers de réfugiés est en péril. Et comment ne pas mentionner l’intégrité morale du monde entier, mise à l’épreuve ici, avec les atrocités que nous avons échoué à prévenir il y a vingt ans dans le Darfour?
Comme je l’ai exprimé trois mois après l’initiation du conflit actuel au Soudan, la communauté mondiale ne peut faire abstraction de cet écho douloureux du passé. Pourtant, c’est exactement ce qui s’est produit. D’une manière ou d’une autre, l’inoubliable est devenu oublié. Et les retombées de ce manque de souvenir sont indéfendables. Soyons clairs, notre manque d’intérêt a encouragé les belligérants à mépriser les principes basiques de la guerre. Nous avons été témoins de personnes abattues en tentant de fuir. D’enfants tués. De femmes violées. D’hôpitaux visés.
Deux commandants militaires ont déclenché un conflit qui a poussé plus de 8 millions d’individus, majoritairement des femmes et des enfants, à abandonner leur foyer, et ce, sous notre regard impuissant. Ce conflit a aggravé les violences interethniques et la propagation des maladies, détruisant des vies et les moyens de subsistance. Il a ravagé les fondations de la société – la santé, l’éducation, l’agriculture – et à présent, la moitié de la population, soit environ 25 millions de personnes, nécessite une assistance humanitaire. Voilà le coût d’une année de guerre. Le Soudan ne peut se permettre une autre année ainsi. Il est donc impératif de saisir cette situation pour ce qu’elle est : une évaluation et une opportunité de redoubler d’efforts pour atteindre trois buts cruciaux.
Permettez-moi de débuter par un but qui est, collectivement, à notre portée :
Un financement total pour l’aide humanitaire
En abritant la conférence humanitaire internationale pour le Soudan et ses nations voisines, la France, l’Allemagne et l’Union européenne (UE) nous accordent une plateforme d’action et il n’y a pas de temps à perdre. Notre appel pour une aide humanitaire cette année est financé à 6%. Sur les 2,7 milliards de dollars [2,5 milliards d’euros] que nous avons besoin pour soutenir 15 millions de personnes parmi les plus vulnérables, nous avons à peine 155 millions de dollars. La communauté mondiale peut stopper l’installation de la famine au Soudan, mais cela exige une action immédiate. J’encourage vivement les pays à se montrer généreux et à tenir leurs promesses.
Le second but est, il est vrai, beaucoup plus complexe à atteindre :
Une cessation immédiate des combats
Malgré l’arrivée du mois sacré du Ramadan, la cessation des affrontements n’a pas été vue, en dépit des multiples appels de l’Organisation des Nations-Unies et de plusieurs autres leaders et organismes pour une trêve. Il est évident qu’une augmentation de l’effort diplomatique est requise pour arriver à un cessez-le-feu et finalement, à une solution politique négociée pour mettre fin au conflit, qui ne se réalisera pas immédiatement. Pendant ce temps, ceux qui ont le pouvoir d’influencer les acteurs du conflit sont tenus de faire respecter le pacte signé à Djedda il y a presque un an. Les Forces Armées du Soudan et les Forces de Support Rapide se sont engagées à protéger les civils et à faciliter l’envoi d’assistance, mais elles ont largement échoué dans leur mission.
Cela mène à un dernier objectif pour lequel nous ne devrions pas supplier : un accès humanitaire sûr et sans obstacles. Au cours de la dernière année, plus de 20 travailleurs humanitaires ont été assassinés au Soudan et des dizaines de milliers de tonnes de fournitures ont été dérobées. La communauté humanitaire – en particulier les organisations locales et leurs vaillants volontaires – continue les opérations d’assistance, qu’il y ait un cessez-le-feu ou non. Cependant, nous pourrions faire beaucoup plus si les acteurs du conflit entreprenaient un dialogue humanitaire pour assurer l’accès et l’envoi d’assistance.
« Il est essentiel que nous parvenions à aider ceux qui en ont besoin, quelle que soit leur localisation, et ce par n’importe quel chemin possible – que ce soit à travers des frontières nationales ou zones de conflit. La plupart des environ 5 millions de personnes confrontées à la menace de la famine dans les prochains mois résident dans les zones du Soudan les plus inaccessibles pour nous, dont Darfour, Kordofan, Khartoum et Gezira. Si nous empêchons l’aide d’arriver à ces personnes, nous les condamnons à mourir de faim.
Leur destin repose sur notre aptitude collective à respecter ces trois exigences. En retombant dans l’indifférence et la complaisance, nous montrerions notre insouciance face à la situation au Soudan. Il est donc temps pour la communauté internationale d’accepter ses responsabilités. Les discussions de la conférence de Paris doivent se matérialiser en actions concrètes : une plus grande accessibilité pour les travailleurs humanitaires, un financement accru pour les interventions et davantage de diplomatie pour mettre fin à ce conflit.
Pour ceux qui prennent part à la guerre et à ceux qui les soutiennent, il est temps de faire face à la réalité. Vous rendez la vie insupportable au Soudan. Votre quête pour le pouvoir et les ressources aggrave la faim, les déplacements forcés et les maladies. Déposez les armes dès maintenant ! Après une année de conflit, il doit y avoir une lueur d’espoir au bout de ce tunnel sombre et mortel. Des millions de personnes au Soudan ont déjà perdu leur foyer, leur gagne-pain et leurs êtres chers. Nous ne pouvons pas les laisser désespérer.
Martin Griffiths est le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence des Nations Unies. »