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« Darwin avait-il tort sur les girafes? »

Il est indéniable que chacun d’entre nous a traversé des jours qui nous font réaliser que la vie est un combat continu. C’est peut-être un cycliste qui risque de nous percuter en brûlant un feu rouge, un collègue qui court pour prendre l’ascenseur avant nous, ou un shopper qui, profitant de notre distraction, se précipite vers la caisse automatique que nous visons. La compétition est un aspect incontournable de notre vie quotidienne, que ce soit à l’école, au travail ou dans le sport. Comme si nous n’avions pas déjà assez de concurrents, le domaine du développement personnel nous incite à combattre notre côté paresseux avec des exhortations à « se surpasser », « devenir la meilleure version de soi » et « faire un travail sur soi-même ». L’objectif est d’améliorer, de performer dans nos interactions avec les autres et de devenir des individus « plus ».

Souvent, cette dynamique est justifiée par l’analogie avec la nature, qui soutient que même les animaux sont engagés dans une lutte constante pour la survie. Qui est à l’origine de cette représentation ? Charles Darwin, évidemment. Dans L’Origine des espèces, publié en 1859, le naturaliste et paléontologue britannique a établi que, pour chaque espèce, la nature fait une sélection entre les caractéristiques premium et celles qui ne sont pas nécessaires.

Utilisant l’exemple de la girafe, un sujet de fascination pour les biologistes depuis près de deux siècles, le biologiste français Etienne Geoffroy Saint-Hilaire s’interrogeait en 1827 sur son utilisation. Darwin, de son côté, avait une réponse. Il a affirmé que seuls les individus ayant les cous les plus longs survivent, car ils sont capables de se nourrir des feuilles dans les hauts arbres avec plus de facilité que les autres. Les girafes avec des cous courts auraient donc progressivement disparu, effacées sans merci par la sélection naturelle. Darwin cite d’autres espèces animales, comme le pinson des Galapagos, pour prouver que la vie telle que nous la connaissons est le résultat d’un processus constant d’optimisation que la nature a mené pendant des millions d’années.

La théorie de la sélection naturelle a rapidement été adoptée par les théoriciens du capitalisme, comme Adam Smith. Tout comme les animaux doivent exceller ou mourir, il n’est pas question pour les humains de se reposer sur leurs lauriers. La nature sait ce qu’elle fait, et le marché a toujours raison. Cependant, dans un livre rafraîchissant intitulé « La Survie des médiocres » (Gallimard, 416 pages, 27 euros), le philosophe franco-israélien Daniel Milo démontre que ce n’est pas le cas. Contrairement à la croyance populaire, non seulement la nature ne sélectionne pas toujours les meilleurs, mais en réalité, on peut survivre en étant moyen, passable, voire complètement inefficace. Une découverte qui nous fait immédiatement du bien mentalement, tout en nous donnant (un peu) le vertige. Serions-nous vraiment exemptés d’améliorer notre temps de course, de faire un meilleur gâteau que les autres parents lors des anniversaires de nos enfants, de progresser en yoga pour avoir le droit d’exister?

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