L’ancienne gloire du Théâtre d’opéra et de ballet d’Odessa s’est estompée, avec l’absence notable de pièces russes emblématiques, manquées par le public local qui avait une préférence pour celles-ci. Depuis deux années, la Russie est reconnue pour son riche répertoire nocturne et aérien, souvent présenté directement au-dessus de l’opulent théâtre baroque du XIXe siècle, à seulement 500 mètres du port ukrainien stratégique sur la mer Noire. Un spectacle quotidien mortellement brillant de sifflements perçants et d’explosions, ponctué par le tir furieux des canons anti-aériens dont les obus zèbrent l’obscurité.
Stanislav Skrinnik, 39 ans, peut-être le seul interprète de ces deux répertoires au quotidien. Figure principale du Ballet d’Odessa, il troque ses chaussons de danse pour de robustes bottes le matin. Il se rend ensuite dans une usine d’armes clandestine près de la ville où il revêt des gants pour se mettre au travail. Ses yeux bleus nostalgiques, ses épais cheveux noirs soigneusement coiffés et son grand front légèrement dégagé se dissimulent sous un casque de protection. Avec un pistolet à peinture en main, il s’attèle à peindre en kaki le châssis d’un canon antiaérien. « Mes collègues danseurs ne comprennent pas comment je peux exercer un tel métier. Mais j’y trouve mon compte », dit l’homme que toute l’équipe nomme simplement « Stas ».
Stanislav Skrinnik, un danseur de ballet professionnel, se distingue parmi ses huit collègues – soudeurs, électriciens, fraiseurs et mécaniciens – à chaque pas qu’il fait. Que ce soit sur le sol en béton de leur atelier ou sur une scène de théâtre, Stanislav conserve une posture de danseur, se déplaçant avec une grâce aérienne parmi les machines graissées, comme si cette scène inhabituelle était dictée par un chorégraphe postmoderne.
Stanislav est natif d’Odessa, une ville qu’il considère comme sa patrie malgré la possession d’un passeport russe. Sa carrière de danseur l’a conduit à Moscou où, paulé par son talent pour la danse classique, il a demandé un passeport russe. Ce dernier était son seul moyen d’accéder gratuitement à l’Académie du Bolchoï, car sa famille n’avait pas les moyens financiers nécessaires.
À l’âge de 13 ans, Stanislav remporte un concours qui lui donne accès à la prestigieuse école russe où il suit six ans de formation. Sa carrière débute ensuite au Théâtre d’opéra et de ballet de Novossibirsk, en Sibérie. Ce n’est qu’en 2013, quand le Théâtre national académique d’Odessa l’a engagé, qu’il a la possibilité de renouer avec son pays natal. Stanislav réside en Ukraine depuis plus d’une décennie, initialement avec un permis de séjour, tandis que sa mère demeure à Moscou où il évite de discuter de politique avec elle.
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