A la mémoire des passionnés de politique allemande, 2024 demeure une année fructueuse en terme de publication, avec l’apparition des mémoires de deux personnages dominants de ces dernières années : Angela Merkel et Wolfgang Schäuble. Les écrits de la première sont attendus pour l’automne. Pour ce qui est du deuxième, son ouvrage baptisé Erinnerungen. Mein Leben in der Politik qui signifie « Souvenirs, ma vie en politique » (Édition Klett-Cotta, 656 pages, vendu à 38 euros et non traduit) a déjà été publié.
Schäuble, disparu le 26 décembre 2023 à 81 ans, s’est démarqué par trois aspects. Premièrement, sa longévité exceptionnelle au Bundestag, où il a siégé pendant plus de cinquante ans après avoir été élu député pour la première fois en 1972. Deuxièmement, les postes ministériels qu’il a occupés à des moments cruciaux, notamment l’intérieur durant la réunification allemande et les finances lors de la crise de la zone euro.
Finalement, le parcours de Schäuble, qui a servi deux chanceliers, Helmut Kohl de 1982 à 1998 et Angela Merkel de 2005 à 2021, représente un rendez-vous manqué. Malgré sa présence influente dans la vie politique allemande pendant un demi-siècle, il n’a jamais accédé au poste de chancelier. Cette absence s’explique par l’héritage imposant du premier à qui il aspirait à succéder, et par la stratégie de la seconde qui a à jamais entravé son ambition.
Avant que le livre ne soit publié, le lundi 8 avril, un extrait révélé par le magazine Stern trois jours auparavant avait été largement commenté par plusieurs médias. C’était à l’automne 2015. Tandis que des centaines d’émigrés fuyant le Moyen-Orient en guerre se dirigeaient vers l’Europe, Angela Merkel pris la décision de les accueillir en Allemagne, ne bloquant pas les frontières du pays. Une telle résolution suscite alors une forte résistance, notamment au sein du groupe très conservateur, l’Union Chrétienne-Sociale (CSU) de Bavière. Schäuble raconte comment il a été sollicité par Edmund Stoiber, l’ancien président de la CSU, avec pour objectif précis de le convaincre de renverser Merkel pour qu’il devienne lui-même chancelier. Il dit avoir décliné l’offre sans hésitation.
Dans une des ses dernières apparitions télévisées en 2022, Schäuble avoue que « quelques-uns voulaient voir Merkel partir » en 2015, mais il n’avait pas donné plus de détails à ce moment-là. La révélation du nom de Stoiber est très intrigante. En janvier 2002, Merkel, alors à la tête de l’Union Chrétienne-Démocrate (CDU) depuis moins de deux ans, avait discuté avec le Bavarois lors d’un petit déjeuner, lui disant qu’elle le soutiendrait pour être le candidat à la chancellerie pour leurs deux partis. Stoiber perd face au social-démocrate Gerhard Schröder sept mois plus tard, qui est réélu pour un second mandat. La défaite du leader influent de la CSU donne à Merkel l’opportunité de se présenter comme candidate la fois suivante. Elle réussit, en 2005, à obtenir le poste qu’elle avait décidé de ne pas convoiter trois ans plus tôt. Le fait que Stoiber, plus de dix ans après, essaye d’organiser un coup d’état pour renverser Merkel montre comment le ressentiment en politique peut persister.
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