Bien que l’image originale ait disparu, Jérôme Bescond, le responsable de l’atelier, a malgré tout conservé une photocopie avec soin. Sur ce cliché, il apparait, jeune et souriant, vêtu de sa salopette et posant avec Pierre Paulin, un designer créatif, reconnaissable à sa tunique et à ses cheveux blanchis par le temps. Ils sont devant un fauteuil qu’ils ont conçu ensemble. Cela remonte à l’année 2000, à une époque où, malgré son âge avancé, le créateur n’avait pas perdu son énergie et continuait d’arriver aux aurores. « Il voyait et je mettais en œuvre », révèle Jérôme Bescond. Ils ont passé des semaines à peaufiner les courbes du meuble, à s’assurer que la texture était parfaite. Les autres ouvriers observaient Pierre Paulin avec respect mais aussi avec une certaine proximité.
Avant son décès en 2009, il était considéré comme l’un des grands noms du design du siècle, exposé universellement. C’est ici, entre ces murs, qu’il a créé de nombreux meubles, comme des tables, des chaises et des canapés, développant partiellement son style distinctif marqué par les courbes. Cet espace, où les machines font suffisamment de bruit pour couvrir les échanges de paroles et où des échantillons de tissus sont éparpillés sur le sol, était pour lui comme une seconde maison. « Mon père se sentait à l’aise parmi les artisans », raconte son fils, Benjamin Paulin, « il privilégiait le travail manuel plutôt que le luxe. C’était une sorte de havre de paix pour lui. »
Aujourd’hui, Jérôme Bescond, âgé de 45 ans, est à la tête de ce qui fut autrefois le repaire de Pierre Paulin : l’Atelier de recherche et de création (ARC), situé dans quelques salles au rez-de-chaussée et en sous-sol du grand bâtiment de béton armé du 13ème arrondissement de Paris. C’est ici que le Mobilier national est conservé, non loin de la Manufacture des Gobelins. Le siège de cette institution publique, qui sert de garde-meubles à l’État, occupe les étages supérieurs. On y entrepose les surplus de meubles, comme des bureaux, des tables ou des fauteuils, que les employés des ministères, des grandes institutions publiques ou des ambassades choisissent pour leurs bureaux. C’est également en ce lieu qu’on inventorie les commodes de style Louis-Philippe, restaure des tapisseries et réfléchit à l’enrichissement des collections.
L’ARC a une fonction unique. Comme son nom l’indique, c’est un atelier où des designers, jeunes et vieux, connus ou inconnus, viennent collaborer avec une dizaine d’artisans fonctionnaires pour concevoir des meubles. Depuis sa création en 1964, plus de mille deux cents modèles ont été imaginés dans cet atelier. Certaines de ces créations restent méconnues, leurs uniques exemplaires se trouvant quelque part dans un couloir de ministère. D’autres, quant à elles, gagnent en notoriété, au point que leur origine est souvent oubliée.
Des millions de visiteurs fatigués profitent chaque année des banquettes imaginées par Pierre Paulin au Musée du Louvre. Aux côtés de ça, les salons de l’Elysée ont aussi été conceptualisés par Pierre Paulin, réalisés à la demande du président Georges Pompidou et François Mitterrand. Il y a beaucoup plus d’exemples, incluant les tabourets Cryptogamme de Roger Tallon qui ressemblent à des ampoules électriques, les très populaires fauteuils Montréal d’ Olivier Mourgue qui sont reproduits à travers le monde, ou encore les chaises Orria de Patrick Jouin pour la rénovée salle Ovale de la Bibliothèque Nationale de France située rue de Richelieu. Sans oublier, les bornes France services présentes dans tout le pays, des luminaires, des consoles et des méridiennes. Tous ont été conçus ici. Pour en lire davantage sur cela, vous devez être abonné, car il reste 84.06% de l’article à découvrir.
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