Dans une déclaration publiée le mercredi 10 avril, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a exprimé son inquiétude quant à l’intervention d’Éric Dupond-Moretti, le ministre de la justice, qui, selon eux, pourrait nuire à l’équilibre des pouvoirs. Cela s’est produit lors du voyage non planifié d’Emmanuel Macron à Marseille en mars, où M. Dupond-Moretti avait visité le tribunal judiciaire de la ville et discuté avec une trentaine de magistrats travaillant sur la criminalité organisée, ainsi que les responsables de la cour et de la juridiction.
Plusieurs magistrats présents ont rapporté au Figaro avoir été sévèrement réprimandés par le ministre de la Justice, ce qui les avait laissés interloqués. M. Dupond-Moretti, autrefois avocat pénaliste, était visiblement irrité par les déclarations faites lors de l’enquête sénatoriale sur l’impact du trafic de drogues en France. Isabelle Couderc, le juge d’instruction du pôle criminalité du tribunal de Marseille, avait déclaré le 5 mars : « Je crains que nous soyons en train de perdre la bataille contre les narcotrafiquants à Marseille. »
Le communiqué du CSM, sans nommer M. Dupond-Moretti, déclare qu’en réponse à certaines critiques, il est important de rappeler que les magistrats, tout comme toute personne témoignant sous serment devant une commission d’enquête parlementaire, ont le devoir de « dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ». Ainsi, ils sont tenus à un devoir de sincérité.
Le CSM, dans une rare mise en garde, soutient que critiquer les déclarations faites dans ce contexte risque de nuire à la fois à leur liberté d’expression et à la séparation des pouvoirs. Le CSM a également exprimé son soutien total à tous les acteurs judiciaires engagés dans la lutte contre le trafic de drogues, soulignant l’importance de leur exercice serein de leurs fonctions, sans que leur autorité et crédibilité ne soient compromise.
Suite à sa visite à Marseille, M. Dupond-Moretti a réaffirmé sur RMC et BFM-TV que les déclarations de la juge Couderc n’étaient pas « appropriées ». Il croit qu’elle regrette ses paroles, a-t-il admis. Il a aussi déclaré qu’il n’apprécie pas les discours défaitistes et estime que si on admet qu’on peut perdre une guerre, on la perdra. Selon les juges cités par Le Figaro, le ministre a aussi déclaré que ces paroles faisaient le jeu de l’extrême droite.
L’Association française des juges d’instruction a fait part de son consternation face à la réprimande du garde des sceaux, arguant que la liberté d’expression d’un juge d’instruction ne saurait être entravée par des enjeux politiques. Elle juge invraisemblable qu’une remontrance soit faite à un juge d’instruction, qui est un magistrat du siège indépendant et apolitique, qu’il serait coupable de « jouer le jeu » de la politique pour son témoignage sous serment devant les représentants du peuple.
Au Palais de Luxembourg, Étienne Blanc, qui est en charge de l’enquête sénatoriale sur la guerre contre le trafic de drogues, a critiqué sévèrement le ministre. Blanc reproche au ministre la violation de la séparation des pouvoirs, l’instigation de faux témoignages et de tentative d’influence sur les juges pendant l’enquête en cours.
Le ministre, en réponse aux accusations lors d’une séance intense au Sénat, a déclaré ne pas regretter ses paroles et souligné son droit à la liberté d’expression, tout comme les juges ont le leur.
Suite à ces incidents, l’ancien procureur général de la Cour de cassation, François Molins – dont les relations avec le ministre sont notoirement tendues – s’est dit stupéfait par la conduite du ministre à Marseille. Selon lui, une telle attitude est à l’opposé de ce qu’on attend d’un garde des sceaux, dont la mission est de maintenir l’indépendance de la justice.
Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature (syndicat de gauche), a quant à elle qualifié le comportement du ministre d' »inadmissible ». Elle a souligné le choc provoqué par le fait que le ministre reprend des juges suite à des déclarations faites face à une commission parlementaire. Dans ce cadre officiel, les juges sont sous serment pour rapporter une situation précise. Reuflet estime que le ministre tente constamment d’intimider les juges, ce qui pourrait les empêcher de s’exprimer ouvertement à l’avenir.
M. Dupond-Moretti, souvent irrité par les déclarations des juges, avait sollicité un « conseil » auprès du CSM concernant ce sujet. En décembre, l’organe autonome lui avait rétorqué que « le principe fondamental est la liberté d’expression des magistrats », « cruciale pour assurer leur indépendance ».
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