Est-ce qu’un gouvernement peut être considéré comme responsable pour ne pas avoir mis en œuvre des mesures de préservation de ses habitants vis-à-vis des impacts du réchauffement climatique ? En affirmant oui à cette interrogation, mardi le 9 avril, le tribunal européen des droits de l’homme (CEDH) a émis un verdict sans précédent. Ce jugement est prévu pour servir de base à la jurisprudence dans les 46 pays adhérents au conseil d’Europe, intensifiant ainsi la pression sur les dirigents pour qu’ils améliorent leurs mesures, conformément aux engagements adoptés dans l’accord de Paris de 2015.
La CEDH a rendu son verdict concernant la plainte déposée par un groupe constitué de 2 500 femmes âgées de plus de 64 ans, qui reprochent au gouvernement suisse de n’avoir pas mis en place des politiques climatiques suffisamment solides pour protéger leur santé, en particulier contre l’augmentation des températures, violentant de ce fait leur « droit à une vie privée et familiale paisible ». Ce droit est assuré par l’article 8 de la convention des droits de l’homme européenne.
La Cour européenne a rendu deux décisions relatives à deux affaires semblables, l’une portait sur l’ex-maire de Grande-Synthe (Nord) accusant le gouvernement français de négligence en ne prenant pas de mesures pour protéger la ville côtière de la mer du Nord contre le risque d’inondation. La seconde était introduite par un groupe de jeunes portugais qui reprochaient à trente-trois gouvernements européens leur inaction en matière de changement climatique après les incendies dévastateurs qui ont balayé leur pays en 2017. Toutefois, dans les deux cas, les plaintes ont été rejetées pour des raisons techniques. Le maire résidait ailleurs au moment où la procédure a été engagée, et les plaignants portugais auraient dû épuiser tous les recours légaux nationaux avant de saisir la juridiction européenne.
En faisant du changement climatique et de l’obligation de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) une question juridique, l’arrêt de la CEDH prend une importance particulière. C’est la première fois qu’un tribunal international fait un lien direct entre le climat et la qualité de vie, la santé et le bien-être des citoyens. Par conséquent, la lutte contre les GES n’est plus facultative, mais une obligation légale, dont le respect et les résultats sont déterminés par les connaissances scientifiques actuelles.
En outre, la résolution de la CEDH surpasse celles prononcées jusqu’ici par les plus hautes cours des quarante-six États membres du Conseil de l’Europe. Désormais, chacune de ces nations a le devoir de mettre en place des politiques publiques pro-climat suffisamment progressistes pour assurer les droits de ses citoyens.
Il est à noter que la contrainte légale est mise en perspective par l’absence de punitions si l’État concerné ne respecte pas une trajectoire vers une diminution crédible de ses émissions de gaz à effet de serre. La demande de l’Union démocratique du centre, le plus grand parti de la Suisse (extrême droite), de quitter le Conseil de l’Europe montre que la décision de la CEDH touche sans aucun doute les leaders politiques.
Cette dernière a le mérite de dénoncer l’hypocrisie et le scepticisme qui permettent aux États de renoncer sans pénalité à leurs engagements sous diverses contraintes plus ou moins justifiables. Le fait qu’ils doivent être redevables – même symboliquement – à leurs citoyens représente un progrès significatif dans la lutte contre le réchauffement climatique.