L’importance d’une enquête journalistique pour le public peut être évaluée en fonction des dysfonctionnements et des injustices qu’elle dévoile, des failles règlementaires qu’elle met au jour, et certainement quand il s’agit d’affaires majeures de fraude et d’évasion fiscale, de la quantité de millions qu’elle aide à récupérer pour financer les dépenses publiques de l’Etat.
À ce titre, les « Panama Papers » sont sur le point de faire voler en éclats les records. Lors de leur publication en avril 2016, cette enquête sans précédent à l’échelle mondiale, menée par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) et ses 109 partenaires médiatiques de l’époque, dont Le Monde, avait bouleversé le monde. Elle avait dévoilé les actifs cachés de dirigeants, de milliardaires et de criminels camouflés dans les paradis fiscaux par le biais de sociétés écrans.
Sept ans plus tard et après des centaines de vérifications, la France a déjà récupéré 195,5 millions d’euros de revenus fiscaux pour le budget de l’Etat, selon un nouveau décompte fourni par Le Monde auprès de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Cet argent, qui avait disparu dans des constructions offshore, correspond à 219 affaires de contribuables, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, pris dans les mailles des « Panama Papers ». Il s’agit du total des contrôles terminés au 31 décembre 2022, ainsi que des régularisations effectuées.
Club de cinq pays ».
On s’attend à ce que le seuil de 200 millions d’euros rapatriés soit atteint cette année, soit 70 millions de plus qu’en 2019, selon un rapport parlementaire. Pour donner une idée, ce montant est à peu près équivalent à celui demandé au gouvernement par les Restos du Cœur pour permettre à toutes les organisations d’aide alimentaire de faire face à l’augmentation de la précarité.
La France est désormais l’un des cinq pays ayant récupéré plus de 100 millions d’euros en impôts et pénalités grâce aux « Panama Papers », rejoignant l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et l’Australie.
Les services de Bercy ont pu identifier les contribuables suspects non seulement grâce aux articles du Monde et de ses partenaires, mais aussi grâce aux informations en ligne par l’ICIJ dans sa base de données OffshoreLeaks, qui catalogue des informations de base sur les sociétés offshore (actionnaires, gestionnaires, intermédiaires), non divulguées dans les paradis fiscaux. Avec cette « première base de travail », la DGFiP a pu cibler de potentiels fraudeurs, avant de mener des enquêtes plus approfondies.
En France, l’impact financier des « Panama Papers », qui comportent des flocons de sociétés offshore enregistrées au Panama, aux îles Vierges britanniques, aux Bermudes ou aux îles Caïmans dans les années 1990 et 2000, se situe donc en tête des grandes enquêtes collaboratives sur l’argent caché à l’étranger.
Le « butin » total s’élève à au moins 450 millions d’euros.
En effet, le scandale « leak » du Panama suit de près les enquêtes liées à la banque suisse HSBC, laquelle a été mêlée à un scandale massif de comptes non déclarés dans les premières années de 2000. La première série de données confidentielles a été transmise aux autorités fiscales françaises par Hervé Falciani, un ancien informaticien du groupe en 2008, suivi d’une deuxième série révélée par l’enquête SwissLeaks de 2015, également dirigée par l’ICIJ avec les données obtenues par Le Monde. La DGFiP a décidé de combiner ces deux cas qui ont permis au ministère de l’Économie de récupérer 243 millions d’euros, y compris les impôts et les pénalités.
La question reste de savoir combien l’argent offshore caché récupéré par la France grâce aux « leaks » traités par l’ICIJ et ses médias associés se montait finalement ? Avec tout inclu de « Offshore Leaks » (2013) jusqu’au « Pandora Papers » (2021), le total récupéré s’élève aujourd’hui à plus de 450 millions d’euros. Cependant, tant que tous les contrôles ne seront pas terminés, le montant restera incomplet.
De plus, en plus des « Panama Papers », le compteur continue pour les « Paradise Papers », une enquête publiée en novembre 2017 qui a dévoilé les méthodes d’optimisation fiscale des dirigeants politiques, des grandes fortunes et des multinationales, tous passant par le cabinet Appleby aux Bermudes. À ce jour, les « actions menées par la DGFiP » ont permis de récupérer 15,3 millions d’euros pour quarante-quatre cas, avec un total de deux cent quarante contribuables contrôlés.
L’impact des « Pandora Papers » n’est pas encore clair à cette date. La DGFiP indique qu’elle est en train d’analyser plus de cent cinquante dossiers de contribuables, mais que la compréhension complète des enjeux associés aux procédures basées sur ces révélations n’est pas encore à sa portée.
Les recherches de l’ICIJ et de ses associés, en particulier, ont réussi à mettre en lumière des chiffres, des noms, et des procédures spécifiques liées à la finance offshore et à des pratiques de fraude et d’évasion fiscale qui sont désormais mondialement répandues. Ces éléments sont souvent difficiles à cerner sans une vue d’ensemble, car ils impliquent généralement des sociétés fantômes enregistrées dans plusieurs juridictions offshore qui sont imbriquées les unes dans les autres, empêchant ainsi de retracer l’origine de l’argent et des fonds dans leurs comptes bancaires. En conséquence, la collaboration internationale entre les États en termes d’échange d’informations sur leurs contribuables respectifs a été intensifiée.
« Ces investigations sont très utiles pour la DGFiP », assure-t-on à Bercy. Ils peuvent pousser certains contribuables soucieux de leur image publique à venir régulariser leur situation, comme cela a été le cas lors de l’affaire des « Panama Papers ». Beaucoup de dossiers sont ensuite envoyés à la justice, même lorsque les informations disponibles sont partielles mais soutiennent une « suspicion de fraude fiscale ».
En outre, ces enquêtes approfondies fournissent aux services gouvernementaux des détails sur la nature des circuits et des instruments utilisés pour échapper à l’impôt, ainsi que sur l’étendue de la fraude fiscale offshore. Ces informations sont d’une grande valeur pour la France, un des pays qui n’a pas encore estimé de façon chiffrée les sommes qui se soustraient à l’impôt. Récemment, la Cour des comptes a promptement invité la France à effectuer cette évaluation.
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