Une journée en 1996, Pierre Huyghe, alors âgé de 34 ans, a été convié à faire un cours à l’École des Beaux-Arts de Châteauroux en Indre. Plutôt que de donner une conférence formelle, Pierre a surpris ses élèves en les emmenant faire un voyage improvisé en bus. Le programme incluait un pique-nique au bord d’une rivière, une ascension en montagne, une exploration de ruines, entrecoupées de projections de films de Stanley Kubrick et Andreï Tarkovski. Huyghe a préservé les souvenirs de cette expédition en les compilant sous forme de tableaux, créant des œuvres d’art connues sous le nom de « Vacances Prolongées ».
La philosophie de ces ‘vacances prolongées’ imprègne toute son œuvre – non pas dans un but de fainéantise, mais dans un souci d’ouverture au monde, de saisir chaque opportunité d’apprentissage et de désapprentissage. C’est ainsi que Pierre Huyghe est devenu l’un des artistes contemporains les plus distinctifs et les plus célèbres de son époque. Il n’a jamais ressenti le besoin de suivre des approches artistiques conventionnelles telles que la création d’installations à grande échelle ou l’envahissement de marchés avec des produits dérivés.
Au contraire, il a ouvert des voies non conventionnelles dans l’art et nous a entraînés dans son penchant pour la narration. Cependant, Pierre Huyghe n’est pas de ceux qui vendent des rêves préfabriqués, il crée plutôt des mondes nouveaux, pleins de labyrinthes et d’œuvres énigmatiques qui, selon lui, nous incitent à « comprendre que l’on ne comprend pas ».
Et c’est cette approche qui lui vaut l’admiration de ses contemporains.
L’artiste a imaginé une forêt vierge sur la scène de l’Opéra de Sydney, a entrepris une expédition à la recherche d’un pingouin albinos en Antarctique, a investi une île submergée en Norvège, a orchestré des déguisements et des carnavals, des jardins, des rumeurs et des opéras. « Plus qu’un génie », s’enthousiasme l’une de ses premières collectionneuses.
Après son Prix Spécial du Jury à la Biennale de Venise en 2001, l’artiste français a remporté tous les honneurs et a été exposé dans les musées les plus réputés. Sans succomber à la pression du marché ou se livrer aux jeux des médias. À l’âge de 61 ans, respecté par ses contemporains, peu connu du grand public, il n’a plus rien à démontrer. Cependant, il réapparaît, jusqu’au 24 novembre, à la Pointe de la Douane, l’un des deux lieux vénitiens de la Collection Pinault, dans une exposition nommée « Liminal ».
Le musée est plongé dans l’obscurité. Le spectateur passe d’une chambre à l’autre, observe des vidéos et des installations. Des œuvres connues de ses admirateurs réapparaissent, comme un moulage de La Muse endormie de Constantin Brancusi, habité par un Bernard-l’hermite dans un aquarium dans le noir, ou le court-métrage Human Mask (2014), où un singe porte un masque blanc du théâtre nô, s’apparentant à un automate, un humain et un animal. Le film Camata (2024) présente un rituel funéraire surprenant dans le désert d’Atacama, deux robots s’occupent d’un squelette à fleur de sable, échoué là depuis un siècle. Partout, des personnages étranges, sur les films ou dans les salles, des performers déambulant, vêtus de masques parlants.
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