Jérôme Bourdon, un historien et expert en sociologie des médias basé en Israël depuis 1997, a fait une analyse pour Le Monde. Il a étudié comment la télévision israélienne et la presse écrite traitent l’offensive en cours à Gaza, et mis en évidence l’impact de leur reporting dans la société.
Après un conflit de six mois, Bourdon s’interroge sur la representation de la guerre à Gaza dans les médias israéliens. Selon lui, une modeste portion de la population israélienne qui croit en un cessez-le-feu ou estime que l’armée perpètre des atrocités à Gaza se tourne vers le journal Haaretz ou des sites web d’actualités indépendants tels que Hamakom Hachi Ham Begehenom ( « L’endroit le plus brûlant de l’enfer ») ou le +972 Magazine (en anglais). Ils s’informe également à travers la presse internationale ou les sites web des organisations israéliennes de défense des droits de l’homme.
Il ajoute que ceux qui veulent connaître la situation à Gaza peuvent se fier aux récits d’acteurs humanitaires de différentes organisations qui décrivent tous une catastrophe sans pareil. Cependant, ces témoignages ne sont généralement pas relayés par les médias grand public. Bourdon affirme que les journalistes israéliens, comme leurs homologues internationaux, n’ont pas accès à Gaza (hormis pour de brefs reportages, « embedded », c’est-à-dire supervisés par les militaires).
La plupart des Israéliens juifs ignorent ou refusent de reconnaître la détresse que subissent les habitants de Gaza. À l’extrémité droite, cette souffrance est même applaudie, avec des groupes qui tentent d’interdire l’arrivée de convois d’aide humanitaire à Gaza. Même ceux qui se proclament progressistes et partisans de la paix confessent leur manque d’empathie. Le public reste fixé sur l’événement terrorisant du 7 octobre 2023. L’impact de l’Holocauste est toujours fort. Les Israéliens sont fermement convaincus qu’ils ont été forcés à la guerre, attribuant la responsabilité de la souffrance à la Palestine. Cette idée est incarnée par une citation notoire de l’ex-première ministre Golda Meir, « Nous ne pouvons pas pardonner aux Palestiniens de nous forcer à tuer leurs enfants ».
La question de la responsabilité israélienne est rarement abordée, mis à part par une infime minorité de journalistes, activistes et intellectuels. Les médias diffusent à la population ce qu’elle souhaite voir, sans réaliser que cette douleur, si actuelle pour eux, est déjà du passé pour les médias internationaux et est incomparable au désastre qui touche les Palestiniens à cause de l’offensive militaire israélienne. Les médias israéliens anglophones contribuent à la hasbara, une forme de « propagande-explicative » destinée à l’étranger, qui ne parvient qu’à conforter ceux qui sont déjà convaincus.