Imaginez une discussion entre un contemporain de l’ère #metoo et un Français de l’Époque Pré-révolutionnaire. Ils pourraient probablement trouver un terrain d’entente sur des sujets tels que le meurtre ou le vol. Cependant, s’ils abordent le sujet du viol, leur discours s’embourberait dans l’incompréhension. Le premier pourrait exprimer son indignation face au trauma émotionnel subi par la victime tandis que le second serait outré par l’insulte au chef de famille. Le premier pourrait craindre la douleur causée par une atteinte à l’intégrité personnelle, tandis que le second pourrait se sentir blessé par l’affront à la dignité familiale.
Georges Vigarello, auteur de la première grande étude sur le viol (Histoire du viol, Seuil, 1998), explique que la perception du viol a considérablement changé car ce crime est complexement lié aux concepts de péché, de culpabilité, d’infamie et de corruption. Comme il touche principalement les femmes, longtemps marginalisées dans la société, le viol a vu son aspect social et juridique considérablement évoluer depuis l’Époque Pré-révolutionnaire, note l’historien.
A partir du 16ème siècle, la manière dont la société perçoit ce délit intime a changé progressivement. Avec le développement de l’individualisme qui a affaibli l’importance accordée à la réputation familiale, l’émergence d’une culture centrée sur l’intériorité et la réflexion personnelle – qui a permis de reconnaître la détresse psychologique des victimes – et le progrès de l’émancipation féminine, la société a commencé à écouter la voix du « deuxième sexe ». Selon Georges Vigarello, la signification de ce délit est fortement influencée par l’histoire, une réalité qui existe depuis la Renaissance.
Un acte honteux
Même si la loi de l’Ancien Régime punit sévèrement le viol, les condamnations judiciaires sont extrêmement rares. Entre 1540 et 1662, plus de 120 ans, seules 49 procédures pour viol sont mentionnées dans les archives du Parlement de Paris, soit une tous les deux ans et demi. « À Auxerre, de 1695 à 1780, presque un siècle, seulement 31 procès sont enregistrés », ajoute Frédéric Chauvaud, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Poitiers. Ce nombre infime ne peut certainement pas refléter la réalité sociale. À cette époque, le viol est un sujet tabou et l’impunité est énorme.
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