En 2024, la revue Clio a publié un numéro spécial au début de l’année. Après plus d’une décennie de publications thématiques touchant à une multitude de sujets allant de la colonisation aux costumes, en passant par la médecine, la guerre froide, le judaïsme, le « care » et la migration, cette revue bisannuelle, qui depuis 1995 se consacre à l’histoire des femmes et du genre, se permet une légère déviation. Le dernier numéro, intitulé « Variations féministes », comprend huit textes orientés vers des manifestations féministes qui se sont déroulées dans des contextes très différents, illustrant la « mondialisation des féminismes », selon les historiennes Rebecca Rogers et Michelle Zancarini-Fournel.
La revue Clio nous transporte d’abord en Sierra Leone, où une institution privée a discuté en 1883 et en 1892 d’un projet de gouvernement pour Freetown. Ensuite, on se retrouve en banlieue parisienne où des centaines de milliers d’ouvrières en grève ont protesté contre les salaires faibles et la domination masculine au printemps 1917. À Padoue, en Italie, on assiste à l’émergence du féminisme matérialiste dans les années 1970. En Inde, les luttes des femmes depuis les années 1970 sont marquées par l’intersectionnalité. On nous emmène également au Mexique où les femmes maestras, surnommées « femmes aux pantalons », découvrent la contestation politique en 2006. Enfin, en Belgique, l’identité des militantes «provie» des années 1970 se distingue de celle de leurs successeurs des années 2020.
Le numéro se conclut par l’idée de « L’urgence partagée ».
Bien entendu, ce n’est pas une édition thématique, mais plutôt un voyage à travers le temps et l’espace au milieu des mouvements féministes qui ne représentent pas pour autant un patchwork chaotique. Toutes ces militantes partagent l’objectif commun de « mettre en question les systèmes de genre », comme l’ont rappelé Rebecca Rogers et Michelle Zancarini-Fournel dans leur introduction, et les chercheurs qui étudient ces questions adoptent la même perspective basée sur le genre pour analyser ces « protestations ». Elles soulignent que « l’importance de partager les expériences féminines est apparente dans toutes les contributions à cette édition, bien que la manière dont ces expériences sont partagées et leurs effets varient beaucoup en fonction de l’époque et du lieu ».
Ce numéro de Clio offre également l’occasion de lire une interview captivante de l’historienne américaine Natalie Zemon Davis (1928-2023). Dans cet article, publié à l’origine en 1983 dans la Radical History Review, cette chercheuse, qui a co-dirigé avec Arlette Farge la section de l’Histoire monumentale des femmes en Occident dédiée aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, raconte son parcours académique et politique. « Le concept de ‘genre’ doit être intégré dans la recherche historique et l’enseignement comme l’est aujourd’hui le concept de ‘classe’ », explique-t-elle, invitant ses collègues à porter la même attention à la masculinité. Elle précise qu’il est impossible de comprendre pleinement ce que signifie être une femme sans faire un travail similaire sur les hommes.
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