Des diagrammes complexes sont diffusés sur l’écran et tout le monde utilise des abréviations, on parle de FVPT et TVM, de AEF et EAST, on étudie des rapports de test quotidiens ainsi que des schémas de travail, on fait la distinction entre la vitesse de base et la vitesse de mise en marché, le freinage rhéostatique et le freinage à air. Les discussions devant la 31ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, où se déroule depuis le début du mois de mars le procès de l’accident du TGV Est à Eckwersheim, sont parfois très techniques. Mais la réalité du déraillement qui a tué onze personnes le 14 novembre 2015 lors d’un jour d’essai de la ligne à grande vitesse, est d’une simplicité déconcertante : le TGV a freiné trop tard. Lorsqu’il a abordé une courbe à 265 km/h au lieu des 176 km/h recommandés, la catastrophe était inéluctable.
Qui est responsable ? Le tribunal a la lourde tâche d’établir qui est à blâmer et essaie de comprendre exactement ce qui s’est passé dans la cabine de pilotage du TGV ce jour-là. « Il semble qu’il y ait eu une confusion quant à la stratégie de freinage », ont indiqué les experts du Bureau d’Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre dans leur rapport. Le mardi 2 et le jeudi 4 avril, ce « malentendu » était exposé lors du témoignage de deux premiers accusés : Francis L. et Denis T.
« Vous vous contredisez »
Denis T., âgé de 57 ans, était aux commandes du train qui a subi un déraillement. Francis L., 64 ans, occupait le rôle du « cadre traction » (CTT), en charge de fournir les instructions de freinage. Les deux hommes sont actuellement jugés pour « homicides et blessures involontaires ». Ils sont passibles d’une peine de trois ans de prison et une amende de 45 000 euros. Pour résumer, le premier est blâmé d’avoir donné des directives de freinage inadéquates, tandis que le second est critiqué d’avoir suivi ces indications sans les remettre en question. A l’audience, aucun n’a accepté explicitement sa part de responsabilité.
« Si le frein avait été appliqué comme je l’avais ordonné, nous ne serions pas ici aujourd’hui », a déclaré mardi Francis L. Est-il le responsable du retrait – fatal – d’un kilomètre du point de freinage avant le virage ? A-t-il simplement approuvé cette décision à la suggestion du conducteur ? A-t-il été suffisamment explicite dans le briefing pré-essai ? A-t-il bien contrôlé le freinage ? Francis L. est évasif, et le tribunal est exaspéré : « C’est vague », « C’est incohérent », « Vous vous contredisez ».
En tant que CTT, il avait le dernier mot dans la cabine. « Je faisais le lien » entre le chef des essais – mort dans l’accident – et le conducteur, explique l’accusé, qui a consacré son interrogatoire à pointer du doigt sa hiérarchie à la SNCF, Systra, la filiale chargée des essais, ou encore le conducteur qui n’aurait pas respecté ses instructions de freinage. Les propos de Gérard Chemla, avocat de la majorité des 89 victimes civiles résonnent : « En fin de compte, tout le monde est coupable sauf vous. »
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