Plus de dix mille pas. Imaginer un compagnon si réel au point de lui partager une tablette de chocolat, percevoir une version alternative de soi-même, « un métamorphe dans les cieux, un homme qui émerge d’une grotte », tel que dépeint par Thomas Vennin, collaborateur de Montagnes Magazine, dans son livre Les Hallucinés. Un voyage dans les délires d’altitude (Paulsen, 2020). Beaucoup d’alpinistes, de marins solitaires et de coureurs de longue distance relatent les hallucinations qu’ils ont vécues en faisant du sport.
Renaud Jardri, professeur de psychiatrie pour enfants et adolescents à Lille, choisit de décrire cela comme une « expérience hallucinatoire ». « C’est percevoir quelque chose sans la stimulation réelle de nos sens, c’est-à-dire voir quelque chose qui n’existe pas, entendre un son alors qu’il n’y en a pas », précise le pédopsychiatre, qui a ouvert un service pour les enfants et les adolescents qui ont vécu de telles expériences hallucinatoires.
« Si les hallucinations peuvent survenir chez n’importe qui, elles apparaissent dans des contextes différents d’affections neurologiques ou psychiatriques, d’utilisation de drogues, mais aussi en cas de stress physique ou physiologique », ajoute-t-il. Chez les athlètes, cela se produit lorsque le corps est mis à rude épreuve. Par exemple, rester éveillé pendant vingt-quatre à quarante-huit heures lors d’une course d’ultra-trail (de plus de 80 kilomètres), ou se trouver en condition de déshydratation. L’isolement peut également favoriser leur apparition. C’est un signe d’alerte.
Lorsqu’on est en haute altitude, le manque d’oxygène, également connu sous le nom d’hypoxie, est assez évident. C’est ce que souligne Jean-Paul Richalet, un professeur de physiologie à l’Université de la Sorbonne à Paris-Nord. L’hypoxie conduit à une hyperventilation qui, à son tour, abaisse le niveau de dioxyde de carbone dans le sang, provoquant une contraction des vaisseaux sanguins du cerveau. Cela peut réduire la vascularisation de diverses parties du cerveau, une situation qui peut occasionner différents symptômes neurologiques, y compris des hallucinations.
Richalet poursuit en disant que l’hippocampe, qui se trouve dans le lobe temporel du cerveau et joue un rôle crucial dans la cognition, la mémoire, l’apprentissage et la navigation spatiale, ainsi que la jonction temporo-pariétale, qui est impliquée dans la distinction entre le soi et le non-soi, sont particulièrement vulnérables au manque d’oxygène. Ces régions du cerveau peuvent également être impliquées dans les expériences de mort imminente, tout comme elles le sont dans les hallucinations observées chez les personnes diagnostiquées schizophrènes ou ayant consommé du LSD, selon Renaud Jardri.
Il reste encore 36,7% de l’article à lire. Ces informations sont uniquement disponibles pour les abonnés.