Allongé sur un lit de fitness équipé d’électrodes, un homme nommé Enzo (le vrai nom n’a pas été divulgué) fait des séries de pédalage, séparées par des pauses de récupération. Il reçoit les directives médicales par le biais d’un casque-micro, des professionnels de la santé surveillant en permanence ses signes vitaux à partir d’un poste de contrôle. Malgré les trente rotations par minute de la centrifugeuse à laquelle il est attaché, l’effort physique qu’il fait est si intense qu’il en oublie presque l’accélération de plus de 2g qu’il subit.
L’homme de 28 ans révèle un ressenti unique du sang se précipitant vers ses pieds et le battement accru de son cœur qui lutte pour faire remonter le sang vers le haut de son corps. Sa position unique – les pieds à l’extérieur de la centrifugeuse « à bras court » – signifie que ses pieds vivent une accélération supérieure à celle de sa tête. Il n’est pas familier à ce genre d’efforts intenses, d’autant plus allongé.
Ces sessions quotidiennes sont une simulation des conditions d’apesanteur comme celles vécues par l’astronaute Thomas Pesquet dans l’ISS. Bien que Enzo n’ait jamais été dans l’espace, ni ne le prévoit, cet entraînement est essentiel pour contrer les effets nocifs d’un long séjour spatial.
Cette expérience permet de découvrir les effets physiologiques du voyage spatial sans quitter la Terre.
Depuis le début du mois de février, Enzo et onze autres volontaires ont réduit leur univers à un lit au sein de l’Institut de médecine et de physiologie spatiales (Medes). Ils sont engagés dans la deuxième phase d’une recherche clinique supervisée par le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’Agence spatiale européenne (ESA), la première phase ayant été réalisée en 2023. L’étude s’étale sur une durée de trois mois, pendant deux desquels ils restent en permanence allongés sur une literie inclinée de -6 degrés, avec leurs têtes positionnées légèrement plus bas que leurs pieds. Ils ne sont pas autorisés à se mettre debout, mangeant et se douchant alors qu’ils restent en position couchée vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Le repos au lit, aussi appelé « bedrest », a été développé comme méthode d’étude des effets de la microgravité en conditions terrestres, dans les années 1970. Rapidement, il est devenu un modèle essentiel pour la recherche clinique liée à l’espace. Rebecca Billette de Villemeur, qui joue un rôle médical important au sein de Medes, explique que dans un environnement d’apesanteur, les fluides du corps humain s’accumulent dans la tête et le thorax. Malgré cela, le corps continue à opérer comme s’il lutte contre la force gravitationnelle, poussant le sang vers le cœur et le cerveau.
Cependant, cette situation a des impactes considérables sur la santé. Les muscles des astronautes tendent à diminuer, leurs os perdent de la densité et leur cœur devient plus vulnérable à l’effort physique car il est moins stimulé. Lorsqu’ils reviennent sur Terre, le sang du corps descend vers les pieds, provoquant une diminution de l’irrigation sanguine du cœur et du cerveau, ce qui peut causer une forme d’hypertension appelée « orthostatique ». De plus, selon la médecin, le retour sur Terre pourrait également entraîner des problèmes d’obésité, une diminution de l’acuité visuelle, un dysfonctionnement du système immunitaire et même le risque de développer un diabète de type II.