Le pessac-léognan, en résistant à la tendance de produire du vin avec une saveur boisée, se distingue dans le vignoble de Bordeaux qui se trouve actuellement fragilisé par une surproduction. Les 55 propriétaires des 70 domaines de cette dénomination se glorifient d’être singuliers. Ils prônent l' »esprit bordeaux », souhaitant mettre en avant l’image d’un vignoble urbain.
Le Château Les Carmes Haut-Brion incarne cette notion de la ville avec ses 40 hectares de vignes situés à la confluence de trois villes: Bordeaux, Mérignac et Pessac. Pour le comprendre, vous devez le voir sur place. Au 20, rue des Carmes, à Bordeaux, on peut voir des rangées de raisins qui ont survécu à la pression immobilière, installées confortablement entre les immeubles modernes.
La famille Pichet possède cette propriété depuis 2010. Elle est symbolisée par une magnifique demeure du XVIIIème siècle. Le groupe immobilier de Bordeaux aurait pu démolir cette demeure pour poursuivre avec les constructions nouvelles, mais ils ont plutôt préféré la valoriser en lui ajoutant un chai urbain en 2016. La conception de Philippe Starck, une coque de navire inversée, contraste avec l’architecture environnante.
Les Carmes Haut-Brion est la seule propriété de la dénomination pessac-léognan située à Bordeaux. Les autres sont réparties dans neuf villes au sud de Bordeaux, dont Mérignac, Talence, Gradignan, Cadaujac et, bien sûr, Léognan. Même le célèbre Château Haut-Brion, l’un des cinq premiers grands crus classés en 1855 du Bordelais, se trouve à Pessac, pas à Bordeaux, qui n’est qu’à quelques dizaines de mètres de là.
La marque pessac-léognan équilibre astucieusement sa double fonction : repousser l’urbanisation tout en en tirant parti. Selon les mots poétiques de Daniel Cathiard, qui possède avec son épouse, Florence, le magnifique Château Smith Haut Lafitte que le roi britannique Charles III a visité en septembre 2023, « valoriser [leur] sens urbain est une élévation ».
Comme le duo Cathiard, de nombreux propriétaires sont d’anciens entrepreneurs ayant fait fortune ailleurs avant d’investir à Pessac-Léognan : Bernard Magrez (Château Pape Clément) était autrefois négociant ; la famille Bonnie (Château Malartic-Lagravière) a vendu le célèbre détachant Eau Écarlate ; l’américain Bob Wilmers, décédé en 2017, était banquier avant d’acquérir le Château Haut-Bailly en 1998, devenu un joyau de la marque.
La bataille a été féroce en ces lieux. Le vin est produit depuis deux millénaires sur ce terroir de graves, mais ce n’est qu’en 1987 que l’AOC Pessac-Léognan a été reconnue, suite à une lutte acharnée entamée en 1965 grâce à André Lurton, décédé en 2019. On lui a rendu hommage, en baptisant un rond-point à son nom, l’an dernier à l’entrée de Léognan. André Lurton n’a pas seulement lutté pour obtenir la dénomination d’origine contrôlée, il s’est également engagé contre la fragmentation du paysage et contre un projet de technopôle – qui a tout de même vu le jour.
Accéder à la suite de cet article requiert un abonnement. Il vous reste encore à lire 50.05% du contenu.
Laisser un commentaire