Sebnem Gumuscu est une universitaire spécialisée en sciences politiques à Middlebury College aux États-Unis. Elle est experte en politiques islamiques et auteur de plusieurs travaux, y compris « Democracy or Authoritarianism : Islamist Governments in Turkey, Egypt, and Tunisia » (« Démocratie ou Autoritarisme : Gouvernements Islamistes en Turquie, en Égypte, et en Tunisie »), un ouvrage publié par Cambridge University Press en 2023, qui n’a pas encore été traduit en français.
Dans son article récent paru février dernier dans la revue « Turkish Studies », elle a fait mention de l’émergence d’un islamisme rampant. Elle utilise cette expression à cause du processus graduel mais flagrant d’islamisation de la Turquie. Gumuscu souligne que bien que l’islamisation ne fût pas à l’agenda du parti AKP du président Erdogan lors de leur première victoire électorale en 2002, il est devenu évident que les autorités turques ont adopté une orientation islamiste dans les dix dernières années.
Selon Gumuscu, le caractère insidieux de ce processus réside dans le fait qu’au niveau juridique, la Turquie ne peut être considérée comme un pays islamique. Du point de vue constitutionnel, la République de Turquie reste laïque et la manière dont Erdogan et son parti gouvernent reflète cela. Fait à noter, le président a récemment confirmé que ni son gouvernement ni lui ne s’étaient ingérés dans la vie privée des citoyens. Cependant, Gumuscu affirme que la façade laïque du pays n’est plus qu’une apparence.
Durant les années 1990, une grande partie de la population éprouvait de l’anxiété face aux mouvements islamiques en Turquie, et se remémoraient la révolution iranienne de 1979 qui avait abouti à la transition brutale vers une république islamique. La prise de pouvoir du parti AKP avait été envisagée par beaucoup comme un signe d’islamisation ouverte du pays – or, ce ne fut pas le cas. Cependant, bien d’autres événements ont eu lieu depuis.
Erdogan, en tant qu’islamiste, cherche à construire une société plus islamique en mobilisant les ressources et l’autorité de l’Etat Turc. Ce dirigeant, qui gère et conçoit tout, s’octroie un grand pouvoir et autorité, ne respecte pas la laïcité, bien qu’il prétende le contraire. En réalité, il a perturbé l’équilibre des pouvoirs en favorisant les musulmans pratiquants dans tous les domaines de la vie politique et sociale, les positionnant en premier plan, au détriment des citoyens laïques.
La question de l’année où cette islamisation a pris son essor se pose. Il est ardu de fixer une date précise, mais on peut estimer que l’année 2011 a été décisive pour différentes raisons. Il s’agissait du début du troisième mandat d’Erdogan en tant que premier ministre (2011-2014), quand l’establishment kémaliste était déjà largement neutralisé. Les forces militaires avaient été mises sous contrôle à partir de 2009, suivi du pouvoir judiciaire un an plus tard, soit en 2010.
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