La profonde tristesse dans la voix de Jean Moussard, un septuagénaire qui possède une grande ferme rénovée en gîtes et chambres d’hôte, est palpable. Il évoque la douloureuse histoire de mars 1951, lorsque le lac de rétention conçu pour fournir de l’eau au barrage de Bort-les-Orgues, dans le Corrèze, a commencé à se remplir après presque une décennie de travaux.
La montée de l’eau a noyé de nombreuses maisons et villages. Cinq barrages ont été érigés dans toute la haute vallée de la Dordogne, engloutissant des domaines et des terres agricoles pour faire place au progrès. Ils sont désormais fameux: Bort-les-Orgues, Marèges, l’Aigle, Chastang et Sablier. Actuellement, un total de cinquante-huit barrages parsème la rivière et ses affluents. Malgré les murmures silencieux qui persistent encore, beaucoup sont convaincus que le développement de l’électricité s’est parfois effectué à un prix exorbitant.
Jean-Marc Chirier, un cantonnier et premier adjoint du maire de Gros-Chastang, ne cache pas ces blessures émotionnelles. Cependant, il remarque qu’elles s’atténuent progressivement. Des communautés ont été reconstruites et ceux qui se souviennent des anciens sont en train de disparaître. Les souvenirs de la douleur associée aux barrages de l’Aigle et de Chastang restent, mais il insiste sur le fait qu’il faut regarder en avant. Il salue la beauté des lacs et du paysage transformé. Le grand corridor forestier créé par ces modifications a valu à la Dordogne d’être désignée réserve de biosphère par l’Unesco en 2012.
Jean-Marc Chirier a choisi de transformer ces barrages controversés en une attraction touristique. En 2013, il propose un projet de création d’un chemin de randonnée reliant Confolent-Port-Dieu et Argentat-sur-Dordogne, à proximité du barrage du Sablier. Le parcours s’étend sur 200 kilomètres, offrant quinze jours de marche le long de la rivière. Les municipalités concernées sont immédiatement enthousiastes, seize d’entre elles puis dix-neuf se joignent à l’initiative. EDF est également impliqué, fournissant un soutien logistique et financier.
Sur le terrain, une équipe de bénévoles s’engage activement. Des tâches comme marquer les sentiers existants, en créer de nouveaux, retrouver les anciennes routes utilisées par les vendeurs ambulants, les commerçants de bétail, les laveuses et les braconniers, et obtenir les permissions des propriétaires pour traverser leur terrain sont nécessaires. La majorité donne leur accord, malgré les possibles frictions dues à des héritages ou des ventes ultérieures. Des hébergeurs, des zones de camping et un taxi pour transporter les bagages ou pour récupérer les randonneurs à la fin du parcours doivent également être trouvés.
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