Mazarine Pingeot, nous accueille dans son repaire préféré, un bar haut en couleurs, pittoresque et excentrique, niché dans le cœur du 11ème arrondissement bohème chic de Paris. C’est le quartier qui l’a embrassée depuis plus de deux décennies. Elle y a établi son premier studio et y est revenue plus tard pour y vivre avec ses trois enfants et leur père, ainsi qu’avec son deuxième époux, dans une vie de famille reconstituée, avec un chat. Un accueil chaleureux « Bonjour Mazarine » l’attend chaque fois qu’elle franchit la porte du bar. Mazarine Pingeot y commande un verre de vin blanc.
La fille, perçue généralement comme un peu austère et réservée, de par son statut de normalienne, de philosophe, et de fille de l’ancien président François Mitterrand, laisse place à une belle femme aux boucles brunes aux lèvres soulignées de rouge, pétillante et bavarde, dès qu’elle esquisse un sourire. L’apéritif, c’est sa tasse de thé, nous sommes donc bien tombés. « C’est pour moi un rituel de transition très important, le moment ou je fais une pause dans mon travail pour passer à autre chose » dit-elle. Elle s’accorde ce verre de transition, en solo ou en bonne compagnie. « J’aime énormément le vin, particulièrement le vin rouge » ajoute-t-elle. Ses amis Ali et Nicolas, tous deux journalistes, sont ceux qui lui ont appris à bien boire. Désormais, elle n’imagine plus de souper sans savourer un bon verre de vin. Elle a accepté de présider un festival de philosophie à Saint-Emilion (Gironde) et elle admet que la localisation a fortement influencé sa décision d’accepter.
Dans son pull à col roulé élégant et moucheté de gris, ses jeans et bottines, elle s’efforce de démystifier son dernier livre, Vivre sans (Flammarion-Climats, 272 pages, 21 euros). C’est une œuvre philosophique solide qui, il faut le dire, n’est pas facile à comprendre. Elle rit en ajoutant : « J’ai vraiment aimé l’écrire, mes éditeurs ont montré du courage en le publiant à une époque où la philosophie n’est pas très populaire, sauf si elle est présentée sous forme d’outils simplifiés pour le développement personnel ». Elle regrette les jours où Michel Foucault était invité à la télévision en prime time et où les livres de philosophie et de sciences humaines pouvaient atteindre plus de 10 000 copies vendues.
« Un objet de désir et de haine »
En tant que professeure qualifiée – elle enseigne à Sciences Po Bordeaux –, elle nous explique de manière patiente tout l’enjeu. Sa réflexion part de l’observation d’une tendance : l’augmentation des produits « sans » comme « sans gluten », « sans sucre », « sans huile de palme », « sans plomb », etc. Elle se demande : « Comment l’absence devient-elle un avantage qui est récupéré commercialement et nourrit le système capitaliste ? Comment envisager une absence qui ne peut être comblée par la consommation ? », dit-elle, convaincue que « sans le manque, on ne tomberait pas amoureux, on ne s’engagerait pas, il n’y aurait pas d’art ». Suit une exploration approfondie et justifiée de la métaphysique du manque : « C’est à ce moment-là que je perds tout le monde », reconnaît-elle en riant.
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