En une seule nuit, le Togo a en toute confidentialité transformé son régime et sa Constitution. Pendant que l’attention était focalisée sur l’élection présidentielle au Sénégal, dominée par l’opposant Bassirou Diomaye Faye, les législateurs togolais ont adopté un changement fondamental de la loi le 25 mars, après 23 heures, introduisant un système parlementaire. Un remaniement institutionnel, conçu selon l’opposition, pour permettre au président actuel, successeur de son père en 2005, de garder le pouvoir indéfiniment.
Le texte, signé par un groupe de dix-neuf députés du parti UNIR (Union pour la République), certains étant très proches de la royauté, a été élaboré pour accroître l’influence du chef du gouvernement, au détriment du président de la République. L’actuel président, élu « sans débat » pour un mandat unique de six ans par le Parlement en congrès, se retrouve aujourd’hui avec un rôle uniquement symbolique. Le véritable pouvoir est détenue par un « président du conseil des ministres » choisi par l’Assemblée nationale, sans aucune restriction de mandat.
Cet équivalent d’un « super premier ministre », chef des armées et responsable des affaires étrangères, décide des directions principales du pays. Ce rôle semble être fait sur mesure pour l’actuel chef de l’État, et pourrait lui revenir en cas de victoire de son parti aux prochaines élections législatives et régionales prévues pour le 20 avril.
« Les évènements sont passés silencieusement pendant tous dormaient. Depuis la mi-mars, nous étions au courant qu’une législation était en développement mais ne pouvions pas prédire que nous allions changer de gouvernement », déplore Isabelle Ameganvi, ex-déléguée parlementaire et vice-présidente d’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), l’un des principaux partis d’opposition. « À l’instant où je discute, je n’ai toujours pas eu accès au texte voté! », rajoute-t-elle, choquée par la démarche.
« Le président cherche à obtenir un nouveau mandat »
Selon cette juriste de formation, la loi, qui doit toujours être promulguée, est encore plus contestée car elle « viole » l’article 59 de la Constitution, d’après lequel le mode d’élection du président ne peut être modifié que par un référendum. En outre, le mandat des députés a officiellement pris fin le 7 janvier. « Ils auraient dû en rester à gérer les affaires courantes. Ce n’est pas à 89 personnes mal élues il y a cinq ans [1 député a voté contre, un autre s’est abstenu] de décider pour 5 millions d’électeurs au Togo! Le vrai problème du pays n’est pas son gouvernement, c’est le manque de respect des autorités pour la loi », martèle-t-elle.
Officiellement, la nouvelle Constitution vise à « ré-énergiser la gestion des affaires publiques », selon le site de l’Assemblée nationale. Cependant, pourquoi alors adopter un système parlementaire et ne pas réviser le texte de 1992, comme il l’a déjà été fait en 2002, 2007 et 2019, pour permettre au leader actuel de se présenter pour un autre mandat en prétextant une remise à zéro des compteurs ? »
L’économiste togolais Kako Nubukpo, commissaire à l’agriculture auprès de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) et ancien ministre de Faure Gnassingbé, pense qu’il n’y a pas eu de débats sérieux sur la nature du régime politique actuel dans le pays. Il estime que la réalité est que le leadership du pays est juste une expression légale de la puissance politique et que le président actuel cherche à se renforcer. La ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, Florence Kouigan, n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.
Depuis 1967, le Togo n’a été dirigé que par deux présidents : Gnassingbé Eyadéma, ancien militaire français qui a accédé au pouvoir par un coup d’État et qui est resté en poste jusqu’à son décès en 2005, et son fils, Faure Gnassingbé, qui a été réélu en 2010, 2015 et 2020. À 57 ans, surnommé « le jeune doyen » par ses homologues ouest-africains, Faure Gnassingbé est considéré comme l’un des leaders les plus stables de la région, malgré la recrudescence des coups d’État au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et au Niger au cours des trois dernières années. Le Togo, tout en étant sanctionné par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a toujours cherché à maintenir des relations avec ces régimes, se positionnant ainsi comme un important médiateur dans les conflits qui secouent la région.
La question se pose si le gouvernement togolais a choisi de profiter du scepticisme actuel envers le modèle de démocratie qui s’est développé en Afrique de l’Ouest depuis les années 1990, dont les régimes militaires sont actuellement les principaux défenseurs. L’UNIR, le parti au pouvoir, soutient que le passage à un système de gouvernance parlementaire serait la clé de la stabilité et un modèle plus approprié pour les sociétés africaines, une affirmation que Kako Nubukpo remet en question.
L’opposition peine à mobiliser l’opinion publique contre ce qu’elle perçoit comme une violation constitutionnelle. Les porte-parole de l’opposition et des représentants de la société civile ont pu tenir une conférence de presse le mercredi 27 mars dans la capitale, Lomé, pour dénoncer ce qu’ils ont appelé le « forfait » des autorités. Cependant, une autre réunion, planifiée plus tôt, a été interrompue par la police, qui prétendait que les organisateurs ne détenaient pas les autorisations nécessaires.