L’annonce du licenciement du rédacteur en chef de La Provence nous préoccupe. Cela rappelle les troubles antérieurs au Journal du Dimanche et aux Echos, qui se poursuivent depuis presque une année maintenant. Les menaces à l’autonomie des éditoriaux sont de plus en plus fréquentes. Chaque fois, on se réveille à la réalité de la situation, puis on retombe dans l’inaction, sans que rien ne change.
La perspective d’avenir nous alarme, au vue des détails fournis le 19 mars aux représentants du comité social et économique (CSE) du groupe Altice par Rodolphe Saadé, nouveau propriétaire des chaines BFM-TV et RMC. Comment rester insensibles aux propos de M. Saadé indiquant qu’il réagirait négativement et le communiquerait si un scandale touchant son groupe CMA CGM était révélé par un média dans lequel il possède des parts, soulignant que pour lui, si l’information existait, il y avait plusieurs façons de la présenter?
Madame la ministre, la seule façon de délivrer des informations de qualité, vérifiées, basées sur des sources fiables et honnêtes, c’est d’assurer l’indépendance des journalistes et des rédactions.
Les journalistes ne doivent pas être au service des intérêts personnels, économiques ou politiques des actionnaires de leurs médias. Ils n’ont pas pour mission d’être les porte-paroles d’un agenda politique ou d’une stratégie gouvernementale.
Quand leur liberté est en péril ou violée, ce n’est pas seulement la profession qui est touchée, mais le débat public et par conséquent l’intérêt général. Sans la garantie pour les citoyens d’un accès à des informations diversifiées et de qualité, nous affaiblissons notre vie démocratique.
Durant une audition le 21 mars devant la commission d’enquête sur les autorisations de diffusion sur la TNT, vous avez déclaré que la loi assurait suffisamment l’indépendance. Pourtant, l’éviction récente et temporaire du rédacteur en chef de La Provence, survenue le jour suivant votre déclaration et annulée le 25 mars après une grève de la rédaction, prouve le contraire. Une mission parlementaire a également souligné les faiblesses et les lacunes de la loi actuelle (la loi Bloche de 2016), une réalité que vous ne pouvez pas négliger.
Le droit d’opposition et les clauses de transfert sont essentiels, mais insuffisants. Bien qu’ils offrent aux journalistes une forme de protection individuelle et une échappatoire en cas de désaccord, que reste-t-il aux citoyens consommateurs d’information lorsque les journalistes partent et que le pouvoir réside entièrement chez les actionnaires ? À quel genre d’informations ont-ils accès ? Assurons-nous leur droit à une information libre et fiable ?
La situation politique actuelle constitue une opportunité concrète et urgente d’agir. Une proposition de loi bipartisanne, déposée il y a six mois pour protéger la liberté éditoriale des médias, a récemment été ajoutée à l’agenda parlementaire. Après un examen en commission, le texte sera débattu le 4 avril.
Plusieurs amendements ont déjà été proposés, mais le gouvernement n’a aucune implication dans l’élaboration de ce texte. C’est une déception car la proposition de loi, qui vise à donner aux journalistes un droit de consentement à la nomination des responsables de la rédaction, constitue une première mesure cruciale pour renforcer l’indépendance éditoriale.
D’autres actions doivent être prises à l’avenir. Les États généraux de la presse indépendante ont fait, en novembre 2023, « 59 suggestions pour libérer l’information » qui esquissent une refonte ambitieuse de la presse. Cependant, il est essentiel d’accomplir cette première étape en appuyant cette proposition de loi.
Nous tenons à souligner que notre but est de sauvegarder et protéger l’intérêt général.
À cette fin, nous, regroupements de citoyens, citoyennes, journalistes et médias indépendants qui menons cette bataille, vous demandons d’améliorer la loi pour assurer l’indépendance des équipes de rédaction.
Cette initiative a été lancée par les associations Article 34, Un Bout des Médias, Fonds pour une presse libre et Sherpa.
Signé par :
Les sociétés de journalistes (SDJ) et les sociétés de rédacteurs (SDR) de l’Agence France-Presse, Arrêt sur images, Arte, BFM-TV, Blast, Challenges, Courrier international, Elle, Epsiloon, France 24, France 3 rédaction nationale, Franceinfo.fr, FranceinfoTV, La Tribune, La Vie, Le Figaro, Le Monde, Les Echos, L’Express, Le Point, L’Humanité, Libération, L’Informé, Le Nouvel Obs, Le Parisien – Aujourd’hui en France, L’Usine nouvelle, M6, Marianne, Mediapart, Premières lignes, Public Sénat, Radio France, rédaction nationale France Télévisions, RFI, RMC, RTL, « Sept à huit », Télérama.
Les médias Disclose, Forbidden Stories, Mediapart, Mediacités, Le Courrier des Balkans, Grand Format, Au Poste, Rue89 Bordeaux, Rue89 Lyon, Rue89 Strasbourg, Reflets info, Off Investigation, Journal Le Crestois, L’Arrière-Cour, Chabe, Mediavivant, Politis, We Report, Splann!, Afrique XXI.
Les groupements professionnels suivants : CFDT-Journalistes, le Syndicat national des journalistes (SNJ), le syndicat national des journalistes affilié à la CGT (SNJ-CGT), FILPAC-CGT, et Informer n’est pas un délit (INPD) sont tous impliqués. Vous pouvez contribuer et réutiliser ce contenu.
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