Dans le contexte plus large du projet de loi concernant « l’aide à la mort », il est préférable de bien comprendre les questions qu’il soulève. Comment percevons-nous la mort dans nos communautés ? Selon moi, nous sommes confrontés à trois enjeux séparés où, malheureusement, le troisième a tendance à éclipser les deux premiers que je tiens tout de même à souligner.
Premièrement, nos sociétés se caractérisent par une forte natalité et, en conséquence, un grand nombre de décès se produiront inévitablement. Cette transition posera un défi sans précédent qui va au-delà du vieillissement : comment allons-nous gérer une mortalité aussi élevée ? Il est possible que nous risquions de vivre une époque où les décès massifs interviendront sans l’existence préalable d’une aide suffisante ni soins appropriés. Cela a été évident durant les moments les plus difficiles de l’épidémie de Covid-19, mais cela pourrait aussi prendre d’autres formes, comme la guerre ou la famine. Bien que nous n’en soyons pas là, il est essentiel d’intégrer des méthodes de mort plus humbles et plus économes, qui vont à l’encontre des traitements excessifs et dispendieux.
Par ailleurs, nous devrons admettre que personne ne peut s’auto-entretenir de la naissance à la mort. Cela va à l’encontre de notre quête d’autonomie et d’émancipation : nous aspirons à l’indépendance, mais nous dévoilons nos dépendances mutuelles. Cette problématique est exacerbée par le vieillissement de la population qui favorise l’isolement. L’industrie des soins de santé peine à pallier cette « solitude choisie » dans laquelle nous nous sommes volontairement immergés.
Notre troisième enjeu découle de l’extension continue de nos capacités techniques, élargissant ainsi la gamme de nos possibles et nos obligations de décisions. Cette augmentation rend nos responsabilités encore plus intimidantes. Nous ne recevons plus des enfants, nous décidons plutôt de leur arrivée. Il en va de même pour la mort ; nous prenons la décision de quand arrêter les soins.
« Confusion totale »
Mais c’est précisément là que réside la tragédie: le sort du mourant dépend des actions des personnes qui l’entourent. C’est pourquoi nous souhaitons des normes, des solutions juridiques, pour nous aider à gérer cette peur. On le remarque dans les réactions contre le projet de loi; les opinions sont profondément divisées sur ces sujets, et refusent d’accepter ce drame qu’aucune loi ne peut mettre fin. Une loi peut seulement apaiser cette peur en l’intégrant dans notre désaccord commun. L’avocat Jean Carbonnier a déclaré: « Entre deux solutions, choisissez toujours celle qui requiert le moins de droit et qui laisse le plus de place à l’éthique et à la morale ». Qu’attendons-nous de la loi? Le devoir de la loi n’est pas de fournir des règles censées apaiser nos craintes, mais plutôt de comprendre et de faire valoir les plaintes, même les plus conflictuelles, pour autoriser le conflit des plaintes.
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