Assistons-nous à une transformation radicale du monde du luxe ? En quelques jours seulement, divers événements ont bouleversé l’industrie. Dries Van Noten, âgé de 65 ans, a annoncé le 19 mars qu’il présenterait sa dernière collection pour l’entreprise éponyme qu’il a créée en 1986 en juin 2024. Le vendredi 22 mars, Pierpaolo Piccioli et Valentino ont révélé la fin de leur partenariat de vingt-cinq ans. Quant à Alessandro Michele, ex-directeur artistique de Gucci, le site spécialisé Women’s Wear Daily prétend qu’il remplacera Pierpaolo Piccioli, bien que ni Michele ni l’entreprise n’aient pour l’heure confirmé cette information.
Pour ce qui est de Dries Van Noten, bien que cette décision ait attristé de nombreux admirateurs, elle n’est pas particulièrement surprenante. En 2018, le groupe espagnol Puig, qui possède Rabanne, Nina Ricci et Jean Paul Gaultier, a acquis une participation majoritaire dans la marque. Cette décision marque un retrait progressif pour le designer belge, qui a su fidéliser sa clientèle pendant près de quarante ans et dont les défilés lors de la fashion week parisienne sont toujours très attendus.
En décembre 2019, il déclarait au journal Le Monde : « Je pourrais encore travailler pendant cinq ou dix ans, aussi longtemps que je me sens pertinent. Si je sens que je recommence à me répéter, si mes créations n’ont plus de signification, si on me demande de reproduire un produit parce qu’il a été un succès, alors j’arrêterai. Cependant, je ne suis pas opposé à l’idée que ma marque survive sans moi. Je ne pense pas que je doive nécessairement être celui qui dessine la collection. »
Éduqué à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers et diplômé en 1981, Dries Van Noten s’est distingué en tant que l’un des « Six d’Anvers ». Ces six designers, parmi lesquels Ann Demeulemeester et Marina Yee, ont été des figures emblématiques de l’esthétique minimaliste, obscure et déstructurée des années 1980 et 1990, positionnant ainsi la Belgique sur la carte de la mode avec le soutien de Martin Margiela.
Avec le temps, Dries Van Noten s’est imposé en rehaussant la féminité dans ses créations et en mettant en avant un travail impressionnant sur les couleurs, les motifs et les textures, toujours en harmonie mais parfois déconcertant. Plus qu’une simple mode, il a inventé un style. Bien que son successeur ne soit pas encore connu, il est plausible qu’un de ses collaborateurs de longue date prenne la relève, garantissant ainsi une continuité stylistique.
L’arrivée prévue d’Alessandro Michele
Si le départ de Dries Van Noten était anticipé, celui de Pierpaolo Piccioli, 56 ans, a pris de court même les membres internes de Valentino. Le designer romain était présent dans l’entreprise depuis 1999, où il a gravi les échelons jusqu’à devenir directeur artistique, initialement en duo avec Maria Grazia Chiuri, puis en solo après son départ pour Dior en 2016. Avec ses nombreux défilés masculins, féminins, prêt-à-porter et haute couture, il a laissé sa marque, faisant de Valentino le synonyme d’un style épuré, fondé sur de larges volumes et des silhouettes souvent monochromes.
Pierpaolo Piccioli est toujours sorti du lot avec sa préférence pour les teintes vibrantes, créant avec habileté des combinaisons attractives. Il a même collaboré avec Pantone en 2022 pour formuler une teinte spécifique de rose, le Pink PP. Sa collection au décor et aux vêtements tout en fuchsia avait fait le buzz au-delà des simples initiés de la semaine de la mode, inondant les plateformes de médias sociaux et attirant une audience plus jeune vers la marque. Les efforts de Piccioli pour rendre la maison de luxe plus accueillante à tous, sélectionnant des modèles et des ambassadeurs qui ne correspondent pas toujours aux normes traditionnelles de la grande et mince beauté, ont également été appréciés.
Piccioli a peut-être quitté Valentino en raison de son désir de s’adresser à un public plus large, plutôt que pour des raisons de renouvellement créatif. Depuis 2012, Mayhoola, un fonds d’investissement de la famille régnante du Qatar, la famille Al Thani, possède la majorité de la marque, tandis qu’en 2023, Kering a acquis une participation de 30% dans Valentino, avec une option d’acheter la totalité de la marque d’ici 2028.
Les grandes entreprises de luxe cherchent désespérément à attirer les plus fortunés, le top 1% de la population. Cela est perceptible dans la communication récente de Kering, qui met l’accent sur une stratégie d' »élévation » pour ses maisons de luxe. Cela signifie que le groupe cherche à attirer une clientèle aisée qui se penche vers des produits sophistiqués et coûteux, popularisant le concept de « luxe discret », selon l’analyse d’Eric Briones, un consultant en luxe et co-fondateur de la Paris School of Luxury. L’étape d' »élévation » de Kering est déjà en cours pour Gucci et Saint Laurent, réduisant notamment leur présence dans les points de vente multimarques, tout en augmentant le prix et la qualité des produits.
Dans le milieu de la mode, l’éventualité que Alessandro Michele puisse succéder à Pierpaolo Piccioli a surpris plus d’un. Récemment repéré dans les bâtiments parisiens de LVMH sur l’avenue Montaigne, l’ex-directeur artistique de Gucci semblait être en pole position pour prendre les rênes de l’une des marques romaines du groupe, à savoir Fendi ou Bulgari.
Supposons que Alessandro Michele rejoigne Valentino et que la marque soit acquise par Kering d’ici 2028, le créateur italien ferait son retour au sein du groupe qu’il a quitté lors d’une situation tendue en 2022. Toutefois, sur le plan créatif, il n’est pas difficile de concevoir que l’inventivité sans limites de Michele pourrait trouver en Valentino un sol fertile pour épanouir son expression artistique.
La maison romaine a par ailleurs annoncé qu’elle n’organiserait pas de défilés lors des semaines de la mode homme et haute couture à Paris, en juin. Par ailleurs, l’année 2024 s’annonce économiquement éprouvante pour les acteurs du luxe, ce qui risque de prolonger le mouvement de transferts de designers.