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« Présidentielle Sénégalaise: Choix de Société Inédit »

Il est à noter que les Sénégalais sont fiers de leurs 78 ans de participation électorale. Cependant, jamais auparavant dans leur histoire démocratique, une élection présidentielle n’avait été aussi difficile. Le processus était entaché de candidatures invalidées dans la controverse, des soupçons de corruption concernant le conseil constitutionnel et le report inopiné du vote à trois semaines de la date initialement prévue. Malgré sa prétention à être un “modèle” régional, le Sénégal s’est retrouvé dans une situation inconnue.

L’élection du dimanche 24 mars est exceptionnelle non seulement dans sa naissance tendue, mais également par sa nature. C’est la première fois depuis l’indépendance que le président sortant, Macky Sall, ne se présente pas à sa propre succession. De plus, un nombre sans précédent de candidats – dix-huit hommes et une femme ont été sélectionnés – sont en lice pour la présidence. Cependant, cette élection est surtout marquée par une polarisation significative du climat politique entre les deux favoris, Amadou Ba, candidat de Benno Bokk Yakaar (BBY), la coalition au pouvoir, et Bassirou Diomaye Faye, un ancien Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), protégé de l’opposant souverainiste Ousmane Sonko. Ils représentent deux lignes opposées: l’un pour la continuation calme, l’autre pour une rupture nette.

Créé il y a dix ans par trois agents du fisc, le Pastef, dissous par le gouvernement en juillet 2023, reste fidèle à ses thèmes favoris pour sa deuxième participation à une élection présidentielle: un appel à revoir le franc CFA, une réforme profonde de la gouvernance, et le patriotisme économique. Ces sujets trouvent un écho particulier auprès d’une certaine élite urbaine et d’une jeunesse qui se sent exclue des bénéfices de l’essor économique – le Sénégal devrait connaître une croissance de plus de 8% en 2024.
Intégrité en image.

Avec son audience électoral, le parti a réussi à se classer troisième lors de l’élection présidentielle de 2019 et a réussi à obtenir presque la moitié des sièges parlementaires et municipaux en 2022, grâce à sa coalition. Moussa Diaw, politologue, estime que le Pastef a réussi à convaincre par son discours sur l’intégrité. Ousmane Sonko, qui n’a jamais dérogé à ses fonctions malgré le flux d’argent dans son département, trouve écho auprès des jeunes. Son public croit à son honnêteté et se détache des politiques traditionnels, jugés déconnectés des réalités du terrain.

Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, utilise l’image d’intégrité pour s’attaquer à son principal adversaire, Amadou Ba, 62 ans. Le candidat très fortuné de la majorité, ancien ministre des finances et récent chef de gouvernement, est souvent accusé sans preuve de s’enrichir de manière illicite pendant son mandat. Des allégations de corruption de juges le concernant ont également retardé l’élection.

Sur le front économique, alors que le pays se prépare à exploiter des gisements d’hydrocarbures au large de ses côtes, l’opposition a fait savoir qu’elle était prête à renégocier des accords et contrats concernant la gestion du pétrole, du gaz et des mines. Des engagements destinés à freiner l’inflation et le chômage de masse qui alimentent l’émigration clandestine, mais qui suscitent l’inquiétude dans certains secteurs économiques.

En juin 2023, le Fonds monétaire international (FMI) a accordé une aide financière de 1,8 milliard de dollars (plus de 1,65 milliard d’euros) principalement destinée à lutter contre le déficit budgétaire. « En échange, le gouvenement avait promis de réduire les subventions, car elles aggravent la lourde dette du Sénégal », indique une source interne à l’institution. Si le gouvernement nouvellement élu réitère son intention de maintenir le plan, nous pourrons libérer les 500 millions de dollars attendus en juin puis en décembre. En revanche, si le Sénégal revient sur son engagement, ces fonds seront différés. Dans le cas où il serait suspendu, d’autres moyens devront être trouvés pour diminuer le déficit. À noter qu’avec un budget de 7 000 milliards de francs CFA (soit 10,7 milliards d’euros), 1 200 milliards proviennent de partenaires étrangers. »

Cette mise en garde a été accueillie avec scepticisme par l’ex-Pastef. « Le Sénégal est un pays indépendant qui prend ses propres décisions concernant les secteurs de son économie à subventionner ou non. Nous avons constaté les effets néfastes des programmes d’ajustement structurels sur nos économies. Ce type de partenariat doit être éliminé », réplique Abdourahmane Diouf, un partenaire de la coalition Diomaye President. « Nous disposons de multiples options de financement alternatives, telles que la rationalisation des exemptions fiscales excessives et injustifiées. Nous pouvons aussi chercher à collaborer avec d’autres partenaires financiers qui comprennent mieux nos problèmes locaux ».

Des désaccords diplomatiques.

La sous-région est divisée entre ceux qui veulent maintenir les relations avec la France et ceux qui plaident pour une séparation en faveur de la Russie, ce qui se reflète également dans les positions diplomatiques des deux principaux prétendants. Amadou Ba, souvent qualifié par ses adversaires de « candidat français » en raison de ses liens étroits avec les entreprises et les politiciens français, est favorable au maintien du statu quo. Opposé à lui, l’ancien Pastef appelle à une rééquilibration.

«Malgré un commencement marqué par l’esclavage et la colonisation, le Sénégal a réussi à établir une relation solide avec la France. Cependant, cette relation ne doit pas se transformer en néocolonialisme qui nous rend toujours dépendants», a affirmé Bassirou Diomaye Faye au journal Le Monde. Bien que sa coalition nie tout antagonisme envers Paris, elle revendique le droit de rechercher divers partenariats, y compris sur le plan sécuritaire, surtout face à la menace croissante des groupes terroristes maliens. «Pour l’instant, la Russie n’est pas l’un de ces partenaires de sécurité. Cependant, nous ne refusons pas la coopération avec aucun pays en principe », a précisé le candidat.

L’ancien Pastef, un parti qui se présente comme panafricaniste, critique souvent les défauts de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il a relancé la polémique en proposant de quitter le franc CFA, une suggestion qui pourrait potentiellement affaiblir encore plus une institution sous-régionale déjà abandonnée par trois pays du Sahel. « C’est un point d’inquiétude, d’autant plus que le Sénégal est un membre influent de cette communauté », souligne Ndèye Astou Ndiaye, professeur de sciences politiques à l’université Cheikh-Anta-Diop à Dakar. Faut-il déconstruire l’existant ou continuer dans la même voie ? Soixante-quatre ans après son indépendance, le Sénégal est confronté à cette question vitale à l’approche du vote de dimanche.

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