Dans son livre intitulé « Harlem. Une histoire de la gentrification », Charlotte Recoquillon retrace l’évolution passionnante de Harlem en mettant en lumière les mécanismes financiers et politiques qui ont transformé l’un des quartiers les plus défavorisés et dangereux de Manhattan en un quartier branché et coûteux. Son enquête de deux ans à New York dépeint avec une précision sans faille la dynamique socioculturelle changeante du quartier.
Au XIXe siècle, Harlem était essentiellement une banlieue résidentielle blanche habitée par la nouvelle aristocratie commerciale. Cependant, l’abolition de l’esclavage en 1865 et la ségrégation raciale dans le Sud ont conduit à une forte migration afro-américaine vers New York, en particulier vers Harlem, où vivait déjà une communauté noire.
L’ère des années 1920, marquée par la Renaissance de Harlem, a connu une effervescence d’émancipation culturelle avec l’avènement des musiciens de jazz, des clubs, des poètes et des boxeurs. Durant la même période, les Blancs ont quitté le quartier en masse, laissant la place à des conditions de vie déplorables et des propriétaires sans scrupules. Une période de déclin de 60 ans a suivi, marquée par la pauvreté, une mortalité élevée, la violence, les gangs et la drogue dans un paysage de désolation parsemé d’immeubles surpeuplés abandonnés, voire incendiés.
Vers la fin des années 80, Harlem est observé comme un lieu perdu. Malgré tout, cette région, marquée par l’assassinat de Malcolm X en 1965, va connaître une transformation spectaculaire grâce à l’effort conjoint des politiques publiques initiées par les maires républicains et l’agenda d’expansion de l’Université Columbia. Les dirigeants, en particulier le milliardaire Michael Bloomberg, maire de 2002 à 2013, voient la gentrification comme une source de revenus supplémentaires pour la ville, grâce à l’augmentation des taxes immobilières.
Intimidation ou menace
De ce fait, ils vont mettre en place des politiques favorables aux propriétaires pour les encourager à faire des travaux qui leur permettraient d’augmenter les loyers et, par conséquent, de contraindre leurs locataires défavorisés à quitter leurs maisons. Pour persuader les réfractaires, certains n’hésitent pas à user de l’intimidation ou de la menace de délation aux autorités d’immigration. Ces méthodes, l’auteure le souligne, sont tellement courantes que « le bureau du procureur de New York (…) publie même une liste régulière des propriétaires les plus indélicats de la ville ».
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