Lorsqu’on ouvre la porte du bureau du conseiller à la sécurité nationale du président du Guyana, on ne s’attend pas à tomber sur une conversation aussi secrète. Est-ce une coïncidence ou une habile mise en scène? Au début du mois de février, le capitaine Gerry Gouveia est en pleine négociation avec un représentant d’Ocea, un constructeur naval français, pour l’acquisition d’un patrouilleur armé de mitraillettes. Officiellement, le bateau sera utilisé pour combattre la pêche illégale, mais sa mission pourrait également inclure la surveillance d’une zone maritime riche en hydrocarbures située à 200 kilomètres des côtes de l’Essequibo, une région guyanaise que le Venezuela revendique. La tension entre les deux pays frontaliers a été encore renforcée lorsque Caracas a organisé un référendum sur l’annexion de ce territoire contesté le 3 décembre 2023, approuvé par 95 % des Vénézuéliens, puis a déployé des avions de chasse et des frégates militaires près de la frontière.
Prix, délai, prêt à taux réduit accordé par la France… tous les détails sont discutés devant un journaliste du Monde. « Le contrat pour le patrouilleur est en passe d’être signé », assure le conseiller en congédiant le représentant d’Ocea. Dans le palais présidentiel à Georgetown, le bureau de M. Gouveia est décoré de photos de cascades scintillantes, de forêts émeraude et de couchers de soleil, le tout accompagné d’une agréable musique de jazz en fond sonore.
Il est couramment admis qu’un contrat d’armement a le pouvoir de renforcer les liens entre les nations. Ainsi, le Guyana a augmenté son budget de défense de 83% en janvier et a commandé un navire de patrouille américain ainsi que deux avions de transport de troupes indiens Dornier à la mi-mars. Il est également possible que d’autres contrats soient signés, notamment pour du matériel de surveillance des côtes, y compris des drones. Cependant, l’armée guyanaise, forte de ses 5 000 soldats, est consciente qu’elle ne peut rivaliser avec les 120 000 soldats vénézuéliens. Comme l’explique M. Gouveia, « Ce n’est pas la force qui nous intéresse, mais plutôt l’investissement dans les systèmes de détection pour garantir notre sécurité. »
En 2015, la découverte de pétrole au large du Guyana a ravivé un vieux conflit qui remonte au milieu du XIXe siècle. À cette époque, le jeune État vénézuélien contestait la démarcation de la frontière avec la Guyane britannique, établie par l’explorateur Robert Hermann Schomburgk pour le compte du Royaume-Uni. Un accord d’arbitrage a été conclu à Paris en 1899, mais le Venezuela l’a remis en question lors de l’indépendance du Guyana en 1966. M. Gouveia insiste sur le fait que « la seule façon de résoudre ce différend territorial est par le biais du tribunal, le Venezuela doit fournir toutes les preuves et défendre sa position devant les juges ». En 2018, Georgetown a saisi la Cour internationale de justice à La Haye pour résoudre le différend, mais Caracas conteste la compétence des juges dans cette affaire.
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