La romancière autrichienne Eva Menasse (à prononcer « Menassé » ou « Menaché ») qui habite à Berlin, est la soeur cadette de l’écrivain renommé Robert Menasse, qui est de seize ans plus âgé qu’elle. En réponse à la question de savoir si être la petite soeur d’un auteur célèbre lui pose un problème, Eva, une femme charmante et amicale à la parole assurée, note que la profession d’écrivain n’était pas vue d’un bon oeil au sein de sa famille. Lorsqu’elle a débuté sa carrière littéraire, elle révèle au « Monde des livres » chez son éditeur Stock à Paris, que son père, adepte de l’humour, lui avait fait cette remarque : « Trois enfants, deux écrivains, qu’ai-je fait pour mériter ça? » Sa plus jeune soeur est biologiste et travaille dans l’industrie pharmaceutique – enfin, une occupation « sérieuse », plaisante Eva avec une pointe d’ironie.
Son parcours et sa carrière littéraire sont pourtant profondément influencés par la figure de son père, Hans (1930-2022), au point d’en être hantée. Ce dernier, footballeur dans les années 50, a dû quitter Vienne et ses parents à l’âge de 8 ans pour le Royaume-Uni, dans ce qui est appelé un « transport d’enfants ». Miraculeusement, il est parvenu à échapper au sort tragique de nombreux Juifs viennois de son époque. Eva a retracé son histoire, mêlée à celle de sa famille, dans son premier roman, « Vienna » (2005; Folies d’encre, 2008), et de manière plus subtile dans son nouvel ouvrage, « Les Silences de Dunkelblum ».
Situé principalement dans une petite ville de la province autrichienne du Burgenland, un endroit familier à Eva Menasse pour avoir passé beaucoup de temps là-bas en travaillant pour l’hebdomadaire Profil en Autriche dès l’âge de 18 ans, ce roman souvent très vivant est caractérisé par l’utilisation d’expressions dialectales spécifiques, obligeant l’inclusion d’un lexique dans sa version en allemand. Cependant, au cœur de cette œuvre de fiction se trouve une réflexion profonde sur le silence qui a prévalu après la guerre, de 1945 à 1989. « Mon objectif est de comprendre ce phénomène d’amnésie collective », explique-t-elle.
Ce silence, selon Menasse, est principalement celui de sa propre famille. Bien que l’exil de son père n’ait pas été un sujet tabou au sein de la famille Menasse, il n’était pas non plus souvent discuté. « Mon père ne voulait pas nous alourdir avec ce passé », dit-elle. Il s’agit aussi du silence de la population autrichienne concernant les crimes de masse perpétrés sur son propre sol jusqu’à la reddition. L’ignorance prolongée du massacre de Rechnitz, où 200 travailleurs forcés juifs hongrois ont été tués après une grande fête dans le château local, a inspiré Les Silences de Dunkelblum. « Mon but était de comprendre ce processus d’oubli collectif », nous confie-t-elle. Cependant, Eva Menasse ne considère pas son travail comme un roman historique. “J’ai toujours besoin de le lier à une époque que j’ai vécue moi-même”, note-t-elle. L’action du roman se déroule donc à l’été 1989, juste avant l’ouverture du « rideau de fer », une période dont elle garde des souvenirs forts.
Note: Il reste encore 69.43% de cet article à lire. Le reste est accessible uniquement aux abonnés.