Le 18 mars à Kaolack, une ville située à l’ouest du Sénégal, Amadou Ba a fait une apparition spectaculaire sur scène sous les acclamations de milliers de supporteurs. Il est le candidat de Benno Bokk Yakaar (BBY), la coalition au pouvoir. Il parcourt le pays depuis dix jours avec une passion renouvelée. L’ancien premier ministre, essentiellement connu pour son calme et son impassibilité, excite maintenant les foules. Des ministres et hauts fonctionnaires participent également à l’événement.
Suite à des semaines de crise provoquées par le report de l’élection présidentielle qui devait initialement avoir lieu le 25 février, Amadou Ba a du faire face à des turbulences au sein de son propre camp. Cependant, la machine BBY est maintenant en marche. À l’approche de l’élection, qui doit avoir lieu le dimanche 24 mars, la coalition et ses nombreux représentants dans tout le pays se mobilisent derrière leur candidat. La course s’annonce tendue : l’ancien chef du gouvernement se trouve face à 18 autres candidats, y compris Bassirou Diomaye Faye, choisi par l’opposant Ousmane Sonko, rendu inéligible suite à une condamnation.
La raison pour laquelle Amadou Ba peut compter sur son camp est que le président lui a ordonné de resserrer les rangs. Ce changement s’est produit durant la nuit du 12 au 13 mars. Cette nuit là, après une réunion à la cité religieuse de Tivaouane, où les responsables de BBY ont brillé par leur absence, Amadou Ba s’est rendu au palais présidentiel, annulant son escale à Saint-Louis qui était prévue après la rupture du jeûne.
Le candidat actuel est plus seul que jamais, obligé d’avoir une discussion avec Macky Sall. Amadou Ba se demande si ce dernier a mandaté ses fidèles pour l’abandonner, une question qui le tourmente particulièrement suite à des reportages de certains médias supposant un remplacement de candidat en faveur de Mahammed Dionne. Ancien premier ministre lui aussi, ce collaborateur de longue date du président, d’après ses supporteurs, était « le choix sentimental » du premier dirigeant lorsqu’il devait nommer son successeur. Rejeté, il a depuis rejoint l’opposition, tout en conservant une influence notable au sein de l’Alliance pour la République (APR), le parti au gouvernement, qu’il a aidé à fonder.
Cette ambiance délétère crée de l’anxiété au sein de la majorité. « Il semblait évident que l’opposition anti-Ba, si elle n’était pas nourrie par le président, était au moins tolérée par lui. Une minorité de responsables de la coalition BBY, le fils ainé du président et un éminent guide religieux ont orchestré un rendez-vous nocturne pour que les deux hommes puissent s’entretenir », révèle un conseiller officieux de Macky Sall.
« Il n’y a jamais eu d’instruction venant du président ou des leaders pour que nous nous désolidarisions de notre candidat », répond Pape Mahawa Diouf, porte-parole de BBY, pour qui les tensions initiales de la campagne sont liées à une question d’organisation: « Nous étions confrontés à une transition inédite. Pour la première fois, un président en exercice ne se présentait pas pour sa réélection. Pourtant, il est en tête du parti et de la coalition. Et Amadou Ba n’a pas de contrôle sur la majorité et son propre parti, ce qui a rendu la gestion de la campagne difficile. »
« Une légère mutinerie »
Une réorganisation était impératif. Suite à un face à face avec Amadou Ba, le président a rapidement réuni une centaine de cadres du parti au pouvoir. Depuis lors, à chaque rassemblement, les membres influents de la coalition se positionnent comme fervents supports de leur candidat. C’est une indication claire de l’autorité de Macky Sall sur l’appareil du BBY. « Le président n’avait pas d’autre choix mais de constater que certains hauts responsables de la coalition trouvaient son soutien à Amadou Ba trop discret. Il a dû faire face à une légère contestation », ajoute Madiambal Diagne, journaliste et biographe d’Amadou Ba et de Macky Sall.
Ce soutien va-t-il se maintenir ? Amadou Ba, qui a été choisi comme candidat après que Macky Sall a abandonné l’idée d’un troisième mandat très débattu, a fait face à une opposition tenace depuis sa nomination en tant que premier ministre en septembre 2022. Certains dirigeants influents n’ont pas cessé de le qualifier de « traitre », le jugeant inapte à représenter la coalition, en grande partie en raison de son adhésion jugée en retard à l’APR. Ils critiquent également le fait que cet haut fonctionnaire fortuné ait formé un « clan dans le clan ».
La mise en doute a presque dégénéré en un ajustement de comptes. En milieu janvier, Amadou Ba a été mis en cause par le Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition), affirmant qu’il avait soudoyé deux juges du Conseil constitutionnel pour éliminer leur candidat, Karim Wade. Cette action a provoqué l’union d’une portion de son groupe pour le défier. Ce sont ses propres députés, alliés temporairement avec le PDS, qui ont soutenu la formation d’une commission d’enquête parlementaire et ont validé le report des élections présidentielles. Cette situation jamais arrivée auparavant a poussé le pays dans une phase d’incertitude jusqu’à l’intervention du Conseil constitutionnel, qui a stipulé la tenue des élections avant le mois de mars.
Au fil de cette phase tumultueuse, des figures principales ont fait monter la pression pour obtenir la destitution d’Amadou Ba. Parmi ses opposants les plus acharnés se trouve le ministre du tourisme, Mame Mbaye Niang, un proche du couple présidentiel. On lui attribue le rôle de porte-parole officieux du président. En dépit des controverses causées par son protégé, Macky Sall ne l’a jamais repris publiquement.
« En privé, le président ne fustige jamais Amadou Ba, mais on perçoit une certaine suspicion envers lui. C’est déraisonnable. Il existe cette contradiction de le garder tout en laissant ceux en charge de sa protection le détruire « , déplore un habitué du palais. Quant à Amadou Ba, il a commis une faute due à son manque d’effort pour fédérer son groupe. Même pendant cette campagne, il s’est entouré de son équipe personnelle, dont quelques membres ne sont pas affiliés à l’APR. Certains redoutent d’être exclus du pouvoir en cas de victoire. »
Un duo efficace.
La décennie passée a été marquée par une relation ambivalente entre deux leaders. En 2013, Amadou Ba, l’ancien responsable de la direction des impôts et domaines, intègre le gouvernement. Il devient le chef d’un ministère de l’économie et des finances avec des capacités élargies, renforçant ainsi son influence également à l’international, en particulier à travers le Plan Sénégal émergent (PSE), le programme de développement économique phare de Macky Sall.
Le président entreprenant et son ministre mesuré forment une équipe solide. C’est ce dernier qui gère les négociations et le déblocage de fonds avec les alliés étrangers. En France, il établit des liens solides avec ses pairs des finances et les hauts dirigeants d’entreprise. Cependant, ce réseau provoque des suspicions au sein du palais. En 2019, son influent ministère est donc divisé en deux parties. Quant à lui, il est transféré au ministère des affaires étrangères. Sa nouvelle position lui donne l’opportunité de consolider sa diplomatie en Europe et aux États-Unis, avant d’être évincé dix-huit mois plus tard.
Suite à deux années hors du pouvoir, l’ancien financier est rappelé en Septembre 2022. Macky Sall le désigne Premier ministre, un rôle qu’il avait aboli en 2019 et qui était auparavant tenu par Mahammed Dionne. Amadou Ba est maintenant considéré par certains comme un candidat « par défaut », et par d’autres comme le « meilleur choix ». Amadou Ba se place dans la « continuité » du président, tout en marchant sur un fil. Comme l’exprime Babacar Ndiaye, politologue au cercle de réflexion Wathi, « Il se doit de rassurer les fidèles de Macky Sall tout en prouvant qu’il a sa propre identité pour se distinguer ».
Dans cette période électorale tumultueuse, Amadou Ba aura à affronter une opposition déterminée menée par l’ancien Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité). Fait ironique, lors de son mandat à la tête des impôts, il a créé des liens solides avec Ousmane Sonko et son candidat, Bassirou Diomaye Faye, alors sous son contrôle. Il tente de séduire également une partie de leur électorat, notamment les jeunes défavorisés, bien que cela soulève certaines contradictions.
En assumant le bilan de Macky Sall, qui est également le sien, il risque de devenir la cible des critiques sur l’emploi des jeunes, surtout à une époque où l’émigration a repris de plus belle. De plus, après trois ans de conflits politiques et une soixantaine de décès, les Sénégalais ont mal pris le report de l’élection et la loi d’amnistie, car il réside un grand besoin de justice. Ils pourraient le manifester », renchérit Babacar Ndiaye. Il incombe également à Amadou Ba de préserver sa coalition, dirigée d’une main de fer pendant douze ans par Macky Sall.
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