En tant que ministre de l’économie et des finances, Amadou Ba a été l’un des piliers du Plan Sénégal émergent (PSE). En tant que candidat, il n’a cessé de louer les avantages de ce plan. Amadou Ba, figure de proue de la coalition au pouvoir pour l’élection du 24 mars, a suivi l’exemple du président Macky Sall dans la politique des grands projets lancés en 2014. Cependant, la voie vers « l’émergence » pour la nation et ses 18 millions d’habitants à l’horizon 2035 est encore longue.
Au cours des douze dernières années, le Sénégal a connu un visage transformé. Des infrastructures modernes ont vu le jour dans tout le pays. Un train express régional (TER) circule maintenant de Dakar à la nouvelle ville de Diamniadio. C’est dans ce centre administratif récemment formé, à une trentaine de kilomètres de la capitale, que se trouve le grand stade Abdoulaye-Wade, le centre international de conférences Abdou-Diouf et le palais des sports Dakar Arena.
A Dakar, les bus électriques (Bus Rapid Transit) commenceront bientôt à circuler et des autoroutes ont été aménagées pour relier les villes de Touba et Kaolack. « Plus de 2 millions de personnes sont directement touchées, c’est du concret », déclare Djiby Diagne, directeur adjoint du bureau opérationnel de suivi du PSE.
Les initiatives de modernisation au Sénégal ont su attirer l’attention des investisseurs étrangers, permettant ainsi au pays d’enregistrer un taux de croissance moyen de son PIB de 5% sous la direction de Macky Sall. Ceci est une amélioration significative comparée au taux de 3,3% enregistré pendant la période d’Abdoulaye Wade de 2000 à 2011. Arthur Minsat, directeur du centre de développement Afrique de l’OCDE, souligne toutefois que cette croissance, bien qu’elle soit supérieure à la moyenne africaine, est en deçà de l’objectif de 7%. Ceci est principalement dû à la détérioration du contexte macroéconomique international, causée par l’augmentation des taux d’intérêt, l’inflation induite par la Covid-19 et le conflit en Ukraine.
Malgré une économie robuste, les avantages de cette croissance ne bénéficient pas suffisamment à la population rurale, qui représente 53% de la population sénégalaise. Entre 2011 et 2022, le Sénégal a chuté de 15 places dans l’indice de développement humain (IDH), pour se retrouver à la 170e place sur 189. Selon Meissa Babou, économiste à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, les infrastructures ne contribuent pas suffisamment à la création de postes de travail structurels et n’impactent pas le taux de chômage, qui s’élevait encore à 19,5% en juillet 2023.
Par ailleurs, les investissements importants dans les infrastructures ont entraîné une augmentation vertigineuse de la dette du Sénégal, qui a dépassé 14 000 milliards de francs CFA (21 milliards d’euros), soit plus de 76% du PIB, en 2023. Ce ratio est supérieur au seuil de convergence de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui est fixé à 70%.
« Le rôle du Sénégal en tant que stabilisateur est en péril à cause de la perte d’un outil crucial en temps de crise. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont exhorté la nation à cesser les subventions sur l’électricité et le carburant, entraînant une hausse des coûts pour les consommateurs sénégalais », signale Khadim Bamba Diagne, directeur scientifique du Laboratoire de recherches économiques et monétaires (Larem) de l’UCAD.
Malgré que Macky Sall, lors de sa campagne électorale en 2012, avait fait de l’amélioration des conditions de vie sa « priorité principale ». Il avait promis une « rupture significative » par rapport à son prédécesseur, Abdoulaye Wade, le constructeur, en se focalisant plus sur les aspects sociaux.
Douze ans après son investiture, les pannes d’électricité en milieu urbain sont maintenant rares, et moins de villages demeurent sans électricité. Le taux d’électrification en milieu rural, qui était de 24 % en 2012, a grimpé à 55% à l’échelle nationale et à 90% dans les zones urbaines. Cette augmentation a été rendue possible grâce à la multiplication par trois de la production d’énergie dû à l’inauguration de nouvelles centrales électriques et à des investissements dans l’énergie renouvelable. Cependant, les coûts élevés de l’électricité impactent toujours la compétitivité du secteur privé et le pouvoir d’achat des consommateurs.
L’une des promesses honorées est l’établissement d’une allocation de sécurité familiale de 35 000 francs CFA (53 euros) par trimestre pour environ 350 000 foyers. L’Assurance Maladie Universelle (CMU) offre une option pour les individus nécessiteux à s’intégrer dans un système d’assurance maladie à une cotisation réduite, et même gratuitement dans certains cas. Cependant, l’économiste Meissa Babou critique le fait que tous les dispensaires et hôpitaux se plaignent de non remboursement des frais par l’État et le montant de l’allocation familiale est considéré comme insignifiant. Il suggère que le futur président investisse davantage d’argent.
Quant aux réserves d’hydrocarbures, le pouvoir d’achat a continué de baissé ces années récentes. Le Sénégal, sous Macky Sall, est devenu le pays le plus coûteux en Afrique pour vivre, selon le site de données collaboratives Numbeo. Avec une inflation atteignant 9,7% en 2022, plusieurs familles éprouvent des difficultés pour joindre les deux bouts, surtout lorsque le loyer représente un tiers de leur budget. Le but de construire 15 000 logements sociaux par an n’a pas été rempli, ce qui s’explique parmi d’autres choses, par le coût élevé des matériaux de construction, pour la plupart importés.
Un phénomène analogue a provoqué une explosion des coûts des biens agricoles. Meissa Babou regrette : «Nous ne produisons pas assez à l’intérieur du pays. En conséquence, l’importation est coûteuse et nous manquons de moyens pour stimuler la transformation et développer l’agrobusiness, qui est une source d’emplois». La production de riz, un aliment de base pour les Sénégalais, a connu une croissance de 198%. Cela a réduit la dépendance sur les importations. Pareillement, la production d’oignons a plus que doublé, tout comme celle des pommes de terre, qui a été multipliée par dix. Cependant, le pays ne parvient pas à être autosuffisant et l’agriculture, exercée par 45% des ménages sénégalais, peine à devenir un secteur créateur d’emplois formels.
Les adversaires du président en place soulignent qu’un écart s’est formé entre Dakar et le reste du pays. L’économiste Khadim Bamba Diagne indique: «La capitale, où les investissements sont rassemblés, suffoque face à l’exode rural, puisque Macky Sall a « dakarisé » l’économie sénégalaise». Il préconise une territorialisation des politiques publiques pour attirer les entreprises et créer des emplois. En effet, le chômage des jeunes est une menace différée dans un pays où des centaines de Sénégalais, y compris ceux ayant des diplômes, embarquent sur des pirogues illégales à destination de l’Europe dans l’espoir d’un avenir meilleur.
Afin de surmonter les obstacles actuels, les autorités parient sur l’extraction du gaz et du pétrole. Cependant, l’exploitation a encore été reportée à septembre 2024. Suite à la découverte de trois nouveaux gisements en 2014, le pays aspire à produire quotidiennement 100 000 barils de pétrole brut et 2,5 millions de tonnes de gaz chaque année. Ces ressources devraient générer d’importantes recettes, ayant ainsi un impact positif sur le PIB, la consommation et les investissements privés. Selon Djiby Diagne, du bureau opérationnel de suivi du PSE, l’étude d’impact réalisée indique une possible réduction de la pauvreté de 6,9% au cours des trois prochaines années, suite à la commercialisation des premiers produits pétroliers.
Cependant, Arthur Minsat, de l’OCDE, met en garde que l’exploitation du pétrole et du gaz n’est pas une source significative de création d’emplois. Il reviendra donc au gouvernement de gérer efficacement les allocations budgétaires pour que les recettes soient réinvesties dans les secteurs productifs de croissance et créent des liaisons avec d’autres secteurs économiques. Un autre défi sera de promouvoir le développement d’entreprises locales, à la fois en amont et en aval de l’extraction, par exemple dans l’approvisionnement et le raffinage. C’est un moment crucial pour l’économie sénégalaise qui devra être habilement géré par le futur chef d’Etat.