Selon les archives, le premier livre de Bruno Latour (1947-2022) n’a été lu par personne, y compris par Latour lui-même. Sa bibliographie officielle commence en 1979 avec « La Vie de laboratoire », un livre co-écrit avec Steve Woolgar (publié par La Découverte, 2006) qui est le fruit de deux années passées dans un laboratoire de neuroendocrinologie.
Aujourd’hui, nous devons considérer »Exégèse et ontologie », sa thèse de philosophie présentée en 1975. Ce premier texte contient aussi le dernier : il est précédé par « La Religion à l’épreuve de l’écologie » (La Découverte, 376 pages, 22 euros), un ensemble d’interviews sur le christianisme conduites entre novembre 2020 et janvier 2021 par les sociologues Anne-Sophie Breitwiller et Pierre-Louis Choquet, avec l’aide du père Frédéric Louzeau.
Latour avait de bonnes raisons pour éviter de relire sa thèse. A l’époque, travaillant à Abidjan, il s’orientait déjà vers l’anthropologie et s’éloignait d’un travail sanctionné par une note insatisfaisante et d’un malaise concernant sa propre foi. Lorsqu’il travaillait sur « Exégèse et ontologie », il a décidé de ne pas baptiser ses enfants. Dans ses interviews, le philosophe admet : « C’est le drame de ma génération, ce hiatus, cette suspension dans le cheminement des messages ». Ces conversations, tenues en fin de vie, donnent un aperçu biographique important sur la trajectoire singulière de ce titan de la pensée écologique.
« Secousse cosmologique » est un autre texte de sa bibliographie qui mérite d’être exploré.
Dans le travail de Bruno Latour, l’éclaircissement de son rôle et l’utilisation du discours religieux sont remarquables. Il s’inspire notamment de la thèse quelque peu insolite qui a étudié les conditions d’expression de divers discours, du texte de Saint-John Perse et Charles Péguy à l’Evangile selon Marc. Son œuvre se distingue par son originalité audacieuse et la cohérence constante de ses préoccupations, malgré le risque d’une confusion que certains détracteurs pourraient souligner.
L’intérêt de Latour pour les mécanismes discursifs ayant été présents dès ses études en philosophie, il s’efforce de comprendre comment la vérité est produite. Le cœur de son projet se centrait déjà sur l’ontologie, animé par l’idée centrale de la multiplicité des « modes d’existence », c’est-à-dire les différentes façon d’appréhender l’existence et le monde.
A partir de ce point d’origine axé sur l’ontologie chrétienne, l’entretien retrace quatre décennies d’une carrière intellectuelle émaillées d’une nouvelle secousse cosmologique : la crise écologique. Ce thème a pris une place centrale dans la pensée de Latour depuis la publication de « Face à Gaïa » (La Découverte, 2015). Adepte de la pensée « prophétique » exprimée par l’encyclique Laudato si (2015), Latour considère l’Anthropocène comme un tournant décisif pour le christianisme.
Pour Latour, il est nécessaire de libérer l’Église de son obsession de domination, afin d’accepter la diversité et de progresser vers un « christianisme écologisé », capable d’assumer son rôle historique. Selon lui, la révélation du Christ repose sur une « invention étonnante » – celle d’avoir permis la coexistence du temps et de l’éternité, distinguant de manière décisive sa vérité d’autres discours.
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