Edvardas Liachovicius se rappelle, comme si cela s’était passé récemment, de l’année 1996. À cette époque, il avait pris les rênes de Girteka, une petite entreprise qui ne disposait alors que d’un seul camion, avec un seul chauffeur et un employé qui officiait depuis le siège de l’entreprise. Ils travaillaient depuis un petit bureau situé à l’intérieur d’une usine en briques, se remémore-t-il. Juste six années auparavant, la Lituanie avait obtenu son indépendance de l’Union Soviétique. Il ajoute « Le commerce entre l’Europe et la Russie connaissait alors un véritable essor, et notre pays était naturellement un point de transit ». Leurs tout premiers trajets en camion reliaient la Bretagne à la Russie.
Fast-forward d’environ trente ans, Girteka est désormais l’une des plus grandes entreprises de transport routier en Europe. L’entreprise compte aujourd’hui 6 500 camions, 13 000 chauffeurs, 2 000 employés répartis dans les divers bureaux du groupe. Sur les autoroutes de l’Europe de l’Ouest, ses véhicules blancs anonymes, spécialisés dans le transport frigorifique de produits alimentaires, ne se distinguent pas facilement. Toutefois, les étiquettes « LT » situées à l’arrière des semi-remorques, indiquant le pays d’origine, sont omniprésentes.
Un détail curieux du marché unique européen, qui tend à accentuer les spécialisations par pays, a fait de la Lituanie un colosse du transport routier. Malgré le fait qu’il ne représente que 0,2% de la population de l’Union Européenne (UE), ce petit pays dispose proportionnellement de six fois plus de camions (1,2% des immatriculations européennes) et onze fois plus de kilomètres parcourus sur les routes des 27 pays membres (2,3%), selon les données recueillies par Rico Luman, économiste à la banque néerlandaise ING. Il totalise 14% du produit intérieur brut.
Le domaine est devenu une composante critique de l’économie lituanienne, représentant 14 % du produit intérieur brut (y compris la logistique) et 7% pour le transport routier uniquement. Cela représente le double de la moyenne européenne, selon une recherche menée par la banque centrale de Lituanie. En plus de Girteka, le pays abrite une dizaine de sociétés possédant plus de mille camions. « Dans des pays tels que la Hongrie ou la Lettonie, il n’y a qu’une seule entreprise de cette envergure « , ajoute M. Liachovicius.
L’orientation de la Lituanie vers le transport routier a suivi trois phases. Après la chute de l’empire soviétique, sa position géographique – la plus méridionale des trois pays baltes, au croisement de l’Europe, de la Russie et de la Scandinavie – l’a naturellement placée comme un point de transit. En 2004, le pays est devenu membre de l’UE, acquérant le droit d’effectuer des livraisons illimitées entre les différents pays du marché unique. Enfin, la crise de la zone euro de 2010-2015 et les premières sanctions contre Moscou en 2014 ont eu deux conséquences : privées d’accès à la Russie, les entreprises lituaniennes ont été contraintes de se focaliser sur le marché européen, tandis que la récession sur tout le continent a provoqué une rude bataille des prix dans le domaine du transport routier.
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