Il est indéniable pour lui que c’est bel et bien une preuve supplémentaire de l’augmentation des « procédures de bâillon », illustrant l’intention d’étouffer les journalistes en les poursuivant en justice. Manuel Sanson, le rédacteur en chef du site d’investigation Le Poulpe, a été convoqué au commissariat de Rouen le jeudi matin du 27 juin, dans le contexte d’une procédure judiciaire relative à l’ «exposition d’informations relevant d’une enquête ou d’une instruction pour un crime ou un délit, détournement d’un bien issu de la violation du secret de procédure, violation du secret professionnel ».
Le journaliste, qui était entendu en audition libre, a découvert que le média qu’il a créé en mai 2019 est l’objet d’une plainte non identifiée déposée à l’automne 2023, avec constitution comme partie civile, par l’ancienne maire de Canteleu (Seine-Maritime) Mélanie Boulanger. Cette dernière est actuellement jugée pour complicité de trafic de drogue. Au moins trois articles liés à l’ex-dirigeante – dont l’un publié en mai 2022 et un autre en septembre 2023 – ont été relevés par l’officier de justice qui a interrogé le chef d’édition du Poulpe, jeudi matin.
Selon Manuel Sanson, c’est une façon d’exercer une pression sur les journalistes et les sources potentielles afin de les réduire au silence. Par ailleurs, Gilles Triolier, le directeur de publication du Poulpe (également correspondant du Monde), a également été entendu au poste de police le jeudi 27 juin, dans l’après-midi.
« On constate une multiplication des pressions ».
Guidés par leur avocat Emmanuel Tordjman, MM. Sanson et Triolier ont décidé de garder le silence pendant les auditions, se limitant à une déclaration préalable que Le Monde a eu l’occasion d’examiner. Ils remettent en cause cette convocation, qu’ils considèrent comme une menace préoccupante pour la liberté de la presse et un défi juridique fondamental. Leur position est qu’ils ne sont pas « accusés sur la base de la loi du 29 juillet 1881 [sur la liberté de la presse], mais pour la dissimulation d’une infraction définie par le code pénal ». Ils avertissent que cela revient à une véritable déviation du droit de la presse et de son intention, ce qui porte gravement atteinte à la liberté d’information.
M. Sanson révèle au Monde qu’il constate une augmentation de multiples formes de pressions. Ceci fait écho à la détention en garde à vue de Ariane Lavrilleux, une journaliste de ‘Disclose’, survenue en septembre 2023, ou encore à l’arrestation d’une journaliste du média ‘Blast’ – dont on n’a pas divulgué l’identité – qui a eu lieu les 18 et 19 juin. Lors de ces incidents, la reporter couvrait un rassemblement qui se déroulait devant les bureaux de la société Exxelia, dans le but d’investiguer sur les ventes d’armes israéliennes, comme l’a rapporté ‘Blast’. Après une soi-disant ‘intrusion’ en compagnie de six individus, comme l’a indiqué le bureau du procureur, leur détention a été levée sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. Mᵉ Pasquet-Marinacce, l’avocat de la journaliste, avait exprimé sa déception auprès de l’Agence France-Presse, indiquant qu’à aucun moment, aucun élément n’avait été présenté pour justifier qu’elle faisait autre chose que d’exercer son métier de journaliste lors de la manifestation. Il avait ajouté : « La priver de sa liberté pendant 34 heures (…) en tentant de la forcer à fournir l’accès à ses notes et dossiers de travail sur son téléphone, représentait non seulement une tentative d’infraction au secret de ses sources, mais aussi une tentative d’intimidation à l’encontre de cette journaliste et, par extension, de tous ceux qui s’intéressent à la question des crimes de guerre perpétrés par Israël. »
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