Sur les barrières de sécurité de la N12 près de Caulnes (Côtes-d’Armor), domine le barbecue. Ce mercredi 24 janvier, environ 150 agriculteurs de Bretagne se rassemblent pour savourer une saucisse grillée enveloppée dans une galette. Avant de lever leur verre à leur « succès » en bloquant la voie express, ils s’amusent en appelant cette pause le « goûter des braves ». Comme dans plusieurs autres régions de France, ces agriculteurs expriment leur exaspération de ne pas pouvoir vivre convenablement de leur profession. Soudain, Florent Gaultier, le président local des Jeunes agriculteurs, appelle ses « troupes » pour planifier « la suite ».
Âgé de 34 ans, cet éleveur confie à des jeunes la tâche de construire des chicanes avec leur tracteur pour sécuriser le barrage. Il est nécessaire d’établir un camp sous ce pont pour cette nuit et les nuits suivantes. Il leur demande de noter leurs noms, numéros de téléphone et disponibilités sur cette table pour organiser les gardes. Florent Gaultier prévient : « Cette lutte est loin d’être finie. On devrait obtenir l’appui des coopératives en hommes, nourriture et camions! » Parmi l’audience, certains agriculteurs se regardent incrédules. « Les coopératives? Elles ne semblent plus s’inquiéter de notre sort depuis longtemps! » s’exclame l’un d’eux. Et un autre se moque : « C’est sûr, elles font partie autant du probléme que de la solution… »
Malgré la présence des caméras, tout au long de cette journée fortement médiatisée, aucun des agriculteurs ne mentionne le rôle de ce rouage souvent négligé mais essentiel de l’agriculture française. Ils ont préféré pointer du doigt l’Europe, le gouvernement, les industriels et la grande distribution. Toutefois, en privé, ils n’hésitent pas à critiquer ces 2 100 groupements auxquels adhèrent trois agriculteurs sur quatre, leur « outil » historique.
Après la Seconde Guerre mondiale, les « coops » ont été massivement développées pour accompagner le développement du productivisme. Elles ont été créées par les agriculteurs dans le but de négocier collectivement les semences, les engrais, les pesticides, mais aussi de transformer et commercialiser leurs produits. Le slogan dans les campagnes était que l’union crée la force.
La concentration du paysage
Au fil des années, ces petites entités locales ont commencé à fusionner. Elles se sont engagées dans une agriculture mondialisée qui exige de produire toujours plus à moindre coût. C’est pourquoi ces entreprises ont grandi, ont construit des usines, ont acquis des marques, se sont diversifiées dans de nouveaux secteurs, et ont investi à l’étranger. Aujourd’hui, une trentaine d’entre elles sont devenues des corporations internationales avec un chiffre d’affaires annuel dépassant le milliard d’euros.
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