Selon Lee Krasner, une artiste et également la compagne de Jackson Pollock, ce dernier aurait proféré en 1942-1943, une exclamation d’exaspération envers Picasso en disant qu’à chaque fois qu’il avait l’impression de faire une découverte, Picasso avait déjà traversé ce chemin. En effet, Pollock fut invité à la demeure de ce « scélérat », surtout pendant ses premières années, jusqu’en 1947, lorsque Picasso était constamment sa source d’inspiration et de tourment. Une comparaison entre les œuvres sur papier de Pollock et de Picasso met en évidence l’obsession inébranlable de Pollock pour le maître espagnol. L’objectif de l’exposition est de montrer comment Pollock a réussi à se libérer progressivement de cette obsession pour devenir le pionnier du style « dripping », une manière de peindre en laissant les couleurs couler librement sur la toile posée au sol.
On peut y voir environ une quarantaine de ses peintures, ce qui est notable étant donné la difficulté d’obtenir le prêt de ses œuvres en raison de sa grande célébrité et de la valeur élevée de son art, toutes deux contribuant à ériger Pollock au rang de héros américain. En complément, une variété de dessins doublant presque le nombre des peintures, ainsi que quelques œuvres de comparaison, dont une de l’excellent Arshile Gorky de 1936-1937 et une autre de la fascinante Janet Sobel de 1943. L’ensemble forme une exposition de qualité, présentée de manière chronologique. Bien qu’une grande salle ait des murs noirs, la couleur de Pollock réussit à s’imposer. Elle saute aux yeux aujourd’hui, tout comme elle avait sauté aux yeux de ceux qui avaient assisté à la libération de Pollock des références qui l’oppressaient.
Dans son esprit, ses rêves, ses doigts.
Pollock est profondément imprégné de Picasso avant 1943, notamment à travers les dessins, encres et crayons de ce dernier. Il est très tôt et très bien familiarisé avec l’œuvre de Picasso, qu’il a pu découvrir dans des expositions comme la rétrospective « Picasso : Forty Years of His Art » au MoMA à New York, ouverte en novembre 1939, qui comptait 364 œuvres, ainsi qu’une présentation de Guernica (1937) dans une galerie new-yorkaise en mai. Pollock a également vu des Picasso dans des collections privées et des revues en provenance de Paris, notamment Cahiers d’art et Minotaure. Il a également écouté John Graham (1886-1961), son ami et mentor, en parler. Ce déluge de Picasso donne lieu à une fusion dans les dessins de Pollock, qui sont autant que possible automatiques, notamment lors de ses consultations chez un psychiatre jungien en 1939 pour tenter de lutter contre son alcoolisme et son mal-être. On y retrouve du Picasso, du Guernica – il l’a dans la tête, dans ses rêves, au bout des doigts. On distingue des fragments de tauromachie, des morceaux de corps, des têtes hurlantes, des monstres à moitié bêtes à moitié humains, des yeux largement ouverts et fixés : les références semblent interminables. Veuillez noter que le reste de cet article est réservé aux abonnés.
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