La conservatrice spécialisée dans le livre pour enfants au sein de la Réserve des livres rares à la Bibliothèque nationale de France (BNF), Carine Picaud, se réjouit du réveil progressif de la ‘belle endormie’. Longtemps ignorée par les institutions culturelles françaises en termes de programmations et politiques d’acquisition, la bande dessinée pourrait faire une incursion notable dans les collections de l’établissement dédié à l’imprimé, situé sur le site de Tolbiac (Paris 13e) d’ici la fin de l’année.
Cette insertion ne serait pas une première absolue, mais l’ampleur de l’initiative est notable : l’acquisition des planches originales de La bête est morte !, un trésor de l’histoire du neuvième art. Ce récit, racontant presque en temps réel les événements de la Seconde Guerre mondiale à travers des personnages animaliers, avait été créé en secret pendant l’Occupation par l’illustrateur Edmond-François Calvo (1892-1957), avec des textes de Victor Dancette (1900-1975) et Jacques Zimmermann (1902-1951).
La Bibliothèque nationale de France (BNF) détient déjà plus de mille œuvres de bande dessinée originales. Parmi eux, trois tomes d’Astérix le Gaulois, don d’Albert Uderzo pendant son vivant en 2011, sept éditions des Cités obscures offertes par François Schuiten et Benoît Peeters en 2016, et différentes pièces de F’murr – dessins, croquis, story-boards – donnés à l’État en 2021. Cependant, cette acquisition est unique par sa nature : il s’agit d’une souscription dont l’objectif est d’amasser 875 000 euros avant le 31 décembre. L’ensemble de 77 planches, reliées par Calvo lui-même, a été classé comme œuvre patrimoniale d’importance majeure, ce qui le qualifie pour la défiscalisation. Dès l’annonce de la vente, Carine Picaud a affirmé sans hésitation qu’il était indispensable de se procurer cette collection de valeur nationale.
L’œuvre de Calvo a été préservée dans sa famille, à l’exception d’une page, disparue de manière énigmatique mais présente dans l’édition imprimée (rééditée par Futuropolis au milieu des années 1970, et actuellement par Gallimard). La famille Calvo a souvent prêté les planches pour des expositions. Une sélection de celles-ci est visible au Centre Pompidou à Paris, à l’exposition « La BD à tous les étages » jusqu’au 4 novembre, ainsi qu’au Mémorial de l’internement et de la déportation de Compiègne (Oise) jusqu’au 5 janvier 2025. C’est une œuvre exceptionnelle à plusieurs égards.
Edmond-François Calvo, l’ancien propriétaire d’un hôtel-restaurant, a choisi de consacrer son existence à son unique passion, le dessin, à l’âge de 46 ans. Son talent pour la caricature, particulièrement celle des animaux, comparaît à celui de ‘Disney français’. En outre, la technique de l’anthropomorphisme qu’il utilise ajoute une valeur historique incontestable à son œuvre. Celle-ci est perceptible dans un album pour enfants où les Français sont représentés par des lapins et des écureuils, les nazis par des loups, les Américains par des bisons sauveurs. De même, il représente le général de Gaulle comme une cigogne et Goering comme un cochon. Il reste encore 35,45% de cet article pour les abonnés à lire.
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